Mirinda (David d’Ingeo),
Aux côtés d’un étrange héros transgressif, dérangeant et infiniment attachant, le film passe par les chemins du réalisme extrême pour s’épanouir en conte fantastique.
Découvert à Cannes, dans la sélection de l’ACID en 2015, le film de Nathan Nicholovitch aura donc mis trois ans pour atteindre les salles. Il a au passage changé de titre, il s’appelait alors De l’ombre il y a. Ombre ou Aurore, le deuxième film de l’auteur du remarquable et trop peu remarqué Casa Nostra sème d’emblée un, et même plusieurs troubles.
Est-ce un documentaire ou une fiction? Et pourquoi suivre les mésaventures quotidiennes de ce(tte) Mirinda, travesti français se prostituant à Phnom Penh? Patience… La suite, en une série de rencontres, crises, séductions, construira la possibilité d’une, voire de plusieurs réponses.
De ce personnage extrême, et ambigu à l’extrême, de ce corps attirant et dérangeant et intrigant d’homme déformé par la drogue et les privations autant que par une féminisation outrancière et pourtant très partielle, va peu à peu émaner bien davantage que cet air de soufre et de stupre.
Une petite fille sortie de nulle part. Ou de l’enfer.
Alors que le film chemine aux côtés de son singulier héros des bas-fonds de la capitale à une traversée vers les confins et l’exploration d’autres milieux – la jungle, la campagne, la ville portuaire–, l’irruption d’une petite fille mutique et obstinée engendre à la fois une sorte de quête héroïque et la révélation de tout un monde, sordide et dangereux, mais vibrant de vie.
Dans un monde hanté par la mémoire de la terreur khmère rouge, par les errements de la mauvaise conscience et l’hédonisme en dollars des Occidentaux et par l’omniprésence de tous les trafics possibles, cet étrange chevalier contemporain en minirobe et perruque de starlette et sa minuscule compagne qui ne sait énoncer que le tarif des passes qu’elle prodigue aux usagers du tourisme sexuel pédophile deviennent l’entrée dans un monde intérieur enchanté.
Assurément, cet enchantement-là n’a rien de joli, il est, y compris jusqu’à la violence extrême, affirmation d’une volonté et d’une capacité de vivre. Et passe, de manière assez magique, par un réalisme radical pour atteindre une puissance de conte qui ne l’est pas moins.
(NB: ce texte est la reprise de celui publié sur Slate lors de la présentation du film à Cannes)