Cannes 2021, J-1: lever de rideau surpeuplé mais partiel

D’après l’affiche du festival

Au moment où s’ouvre, enfin, la nouvelle édition du Festival, survol des attentes et des caractéristiques de la sélection dans son ensemble, avant de se mettre à l’écoute des films un par un, comme il convient.

Au moment où s’ouvre le 74e Festival de Cannes, une seule chose est sûre: cette édition ne sera pas comme les autres. La pandémie, l’annulation de la manifestation en 2020, les interrogations nouvelles à propos du cinéma et des festivals sont de nature à faire que ces dix jours en juillet auront quelques traits singuliers par rapport au rituel plus grand rendez-vous du cinéma mondial, d’ordinaire toujours au mois de mai.

La température et la présence d’estivants en grand nombre ne seront pas étrangères non plus à ces variations, sans oublier le maintien de mesures de sécurité sanitaire, et le fait que pour de multiples raisons médicales, financières, d’organisation de leur calendrier de travail et/ou de vacances, une part significative des habituels festivaliers passera son tour. Sans qu’on sache s’ils reviendront l’an prochain.

En attendant l’arrivée des spectateurs. Mais viendront-ils? | Festival de Cannes

C’est la véritable question, qui vaut au-delà de cette édition, laquelle joue plutôt le rôle d’un miroir grossissant: jusqu’à quel point des comportements différents cette année sont-ils conjoncturels? Annoncent-ils des mutations dans les pratiques des créateurs et créatrices, des financiers, de ceux (festivals, critiques, commerciaux, autres acteurs des médias) qui ont fonction de donner de la visibilité aux films, et bien sûr des spectateurs? Réponse: on ne sait pas, même si beaucoup y vont de leur pronostic, quitte à être démentis dans les jours ou les semaines qui suivent.

Affichage sur les sujets de société

Plutôt que jouer les pythies, mieux vaut observer les éléments factuels de cette édition. Sincère ou diplomate, la direction de Cannes a désormais pris garde d’afficher des réponses aux grandes attentes sociétales qui ont récemment trouvé une force inédite: la présence des femmes, la place aux dites minorités visibles, la prise en considération des enjeux environnementaux.

L’ensemble des sélections, mais tout particulièrement la sélection officielle affiche un souci de représentation féminine inédit, qu’il s’agisse des autrices ou des membres des jurys. Si la compétition est encore loin de la parité (mais cela ne peut être séparé de l’état réel du déséquilibre dans le cinéma mondial), la section Un certain regard a fait un effort évident pour s’en approcher (huit réalisatrices parmi les signataires des vingt films) tandis que le jury de la compétition officielle comporte cinq femmes pour quatre hommes, et est présidé par la figure majeure du cinéma noir qu’est Spike Lee, lequel figure aussi sur l’affiche.

Par ailleurs, la direction du Festival a fait connaître tout un ensemble de mesures ou d’annonces concernant une réduction de l’empreinte carbone de l’événement et une meilleure écoresponsabilité. Nul doute qu’il y a encore du chemin à parcourir sur toutes ces questions, mais il serait injuste de ne pas prendre acte d’évolutions réelles. En ce domaine, Cannes, qui avait paru les précédentes années en retrait sur beaucoup d’autres manifestations, a clairement choisi de mettre les bouchées doubles, pour tenter de revendiquer une palme d’exemplarité en ces matières.

 

Affrontements et mutations en cours

In progress, également, le positionnement vis-à-vis des grosses plateformes de diffusion en ligne. Sans lien direct avec la Croisette, mais à quelques jours de la première montée des marches, la transcription dans le droit français de la directive européenne réglementant la rémunération par les services de SVOD des films, et l’établissement de règles d’obligations de financement des productions hexagonales par ces mêmes services (Netflix, Amazon Prime, Disney+, Apple TV+) sur fond de menace de retrait du grand argentier du cinéma français, Canal+, participent d’une mutation encore en cours.

Elle sera entre autres configurée par l’inévitable modification de la chronologie des médias, dans des termes pas encore définis mais qui seront peut-être annoncés durant le Festival, lequel garde pour l’instant une position de fermeté vis-à-vis de Netflix, seul service de cinéma en ligne à refuser de privilégier la sortie en salle, comme la loi française y oblige.

(Sur)abondance?

Ce n’est pas cela, en tout cas, qui risque de causer une pénurie de titres. Une des principales caractéristiques de cette édition est en effet la quantité de films sélectionnés.

C’est surtout la sélection officielle (qui comprend la compétition, Un certain regard, plusieurs catégories hors compétition, sections habituelles auxquelles s’ajoutent cette année Cannes Première et Films pour le climat) qui traduit cette tendance inflationniste: pas moins de quatre-vingt-quatre longs-métrages y figurent.

En compétition, on retrouve parmi les vingt-quatre sélectionnés beaucoup de grands noms du cinéma d’auteur international, ce qui est bien naturel: Leos Carax, Paul Verhoeven, Nanni Moretti, Wes Anderson, François Ozon, Apichatpong Weerasethakul, Jacques Audiard, Sean Penn, Asghar Farhadi, Bruno Dumont figurent dans cette sélection, ainsi que deux récipiendaires d’Ours d’or à Berlin, la Hongroise Ildikó Enyedi et l’Israélien Nadav Lapid. Il revient à la section Un certain regard d’accueillir sinon uniquement des débutants (mais sept premiers longs-métrages), du moins des cinéastes encore peu repéré·es sur la carte mondiale du cinéma contemporain.

 

           Léa Seydoux dans France de Bruno Dumont, un des nombreux films français en sélection officielle. | 3B Productions

Plus étranges sont les réalisateurs regroupés dans cette nouvelle section Cannes Première, dont Arnaud Desplechin, Mathieu Amalric ou Hong Sang-soo, qu’on aurait a priori attendus en compétition. Une autre curiosité de l’année tient à ce que deux réalisateurs, Apichatpong Weerasethakul et Nadav Lapid, figurent dans deux sections différentes du programme officiel, avec deux films différents.

Omniprésence française

La caractéristique la plus saillante est assurément la surreprésentation du cinéma français. Il est sans précédent que plus du tiers des films des sélections officielles soient originaires du pays d’accueil (trente-deux sur quatre-vingt-quatre), et notamment que pas moins de huit figurent en compétition, quand d’ordinaire il était considéré comme exceptionnel que quatre films français concourent pour la Palme d’or. (…)

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2 réflexions au sujet de « Cannes 2021, J-1: lever de rideau surpeuplé mais partiel »

  1. Cher Jean-Michel,

    Il y a de la télépathie dans l’air : nous nous demandions ce matin au réveil (embrumé, mais réveil quand même) comment rendre compte de la dualité de Cannes, à la fois abondance de films venant de partout, foisonnement cacophonique du grouillement de la planète, en tous cas les films eux-mêmes à décortiquer et déguster un par un, et la gigantesque foire aux bestiaux, le marché, révélateur à la fois de l’économie du cinéma et de la sociologie du milieu. Un moment inouï, où l’on entrevoit, comme un vision dans les nues, l’état de l’humeur du monde brusquement incarnée dans un seul lieu et qui s’évanouira comme un mirage. À y bien réfléchir, ce genre d’évènement, où l’on peut prendre le pouls du monde, était tout à fait impossible avant le cinéma. Un peu chez les Grecs avec le théâtre, mais ça restait gréco-grec. Il faut absolument donner à voir cette dimension mondiale. Il nous semble bien que tu viens d’enfourcher ce fier destrier descriptif et nous nous en réjouissons. Ça peut être épique ! Voire, pourquoi pas, homérique, au sens premier.

    Bises visionnaires,

    Llx

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