«Contes du hasard et autres fantaisies», bonheur à trois temps

Faut-il qu’une porte, un regard, une voix soit ouverte ou fermée?

Émouvant, cruel et mélancolique, le nouveau film de Ryūsuke Hamaguchi associe trois courts récits pour confirmer la reconnaissance de son auteur comme cinéaste majeur d’aujourd’hui.

Trois histoires. Trois rencontres. Trois malentendus qui engendrent autre chose que du malentendu, de façon plus ou moins heureuse, toujours mélancolique.

On retrouve, donc, Hamaguchi, dont le nom a commencé de s’imprimer dans les mémoires grâce au coup double des sélections en 2021, et des récompenses, à Berlin pour les Contes du hasard et à Cannes pour Drive my Car, confirmé par le succès public de ce dernier et désormais un Oscar.

Où l’on s’avise qu’avant ce prestigieux doublé, l’encore jeune (43 ans) réalisateur japonais avait déjà une œuvre conséquente derrière lui, œuvre jalonnée notamment par Passion, Senses et Asako I & II, précédemment distribués. Et cela fait du nouveau venu un encore plus étonnant phénomène, en forme d’emboîtement vertigineux, tout à fait passionnant.

Car le nouveau film («nouveau» par sa date de sortie en France, Drive my Car et lui ayant été réalisés simultanément, par temps de confinement covidé, ce qui n’est pas un mince exploit) cristallise, dans sa forme même, la place singulière et importante qu’est en train d’acquérir son réalisateur.

Aussi légitime qu’évident, le rapprochement avec tout un pan de l’œuvre d’Éric Rohmer, d’ailleurs revendiqué par ce cinéaste cinéphile et érudit, et qui attribue à la Nouvelle Vague française une influence majeure sur son travail, ne devrait en aucun cas détourner de l’essentiel de la proposition de Hamaguchi, qui lui est tout à fait personnelle.

Oui Contes du hasard entretient certaines proximités avec les «Contes moraux» de l’auteur de Ma nuit chez Maud: on trouve chez l’un comme chez l’autre l’effet de collection de récits se faisant écho, et le rôle majeur dévolu à la parole.

Mais ils n’ont pas été écrits de la même manière (Hamaguchi, contrairement à Rohmer, n’est jamais passé par une forme littéraire susceptible d’être publiée). Et ces histoires courtes ont vocation à être assemblées en un long-métrage, quand chaque récit de Rohmer a donné un film distinct, dont quatre longs-métrages.

De manière moins superficielle que les ensembles de contes et la parole, ce qui rapproche le plus les deux cinéastes serait plutôt leur pensée cinématographique de l’espace. Mais ça, c’est une autre affaire, qui mériterait d’y revenir un jour.

Trois fois les femmes au centre

Contes du hasard et autres fantaisies réunit trois récits apparemment distincts, mais dont l’ensemble fait sens, au-delà de leur singularité. Comme pratiquement toute l’œuvre de fiction de son auteur, les femmes y occupent une place essentielle –que Drive my Car fasse à cet égard en partie exception tient à ce qu’il s’agissait d’une adaptation de nouvelles de Murakami.

Trois personnes, trois directions de regard, un polygone d’émotions et de rapports de force au nombre de côtés qui tend vers l’infini (Ayumu Nakajima, Kotone Furukawa et Hyunri dans la première partie, «Magie?»). | Diaphana

Dans la première partie du film, une jeune femme raconte à une amie une toute récente et passionnée rencontre amoureuse sans savoir que l’homme en question est l’ex de sa confidente, qui entreprend des manœuvres compliquées face à cette situation. La deuxième partie transforme une vengeance en exercice de séduction aux effets paradoxaux. La troisième tire parti d’un quiproquo pour faire éclore d’inattendues possibilités de se comprendre.

Un mouvement intérieur

Chacune est virtuose dans sa construction, impressionnante par la finesse de son interprétation, émouvante par l’alliage de tendresse, de cruauté et de doute qui la porte. Chacune, surtout, recèle un mouvement intérieur qui fait que le ressort de l’intrigue ne commande pas mécaniquement ce qui advient.

Parce que ce qui advient, aux personnages et aux spectateurs, est altéré en profondeur par la mise en scène, mise en scène qui n’est jamais la seule illustration du scénario.

Les décisions de réalisation qui permettent cela sont multiples, beaucoup sont à peine repérables, mais assurément le recours aux plans longs et la manière d’accompagner les déplacements –physiques ou intimes– des personnages y tiennent une place majeure.

Dans des environnements quotidiens (un taxi, un café, un bureau, une maison de famille), et sans artifice, la manière dont les corps, les regards et les voix occupent l’espace suscite une multitude de champs de force chargés en émotions très diverses, parfois contradictoires.

Plusieurs hors champs, sensuels, malveillants, mélancoliques, désorientés, habitent cette situation en apparence minimale (Kiyohiko Shibukawa et Katsuki Mori dans la deuxième partie, «La porte ouverte»). | Diaphana

D’une conversation à l’arrière d’un taxi à la circulation-affrontement entre d’anciens amants dans un bureau open space, de la lecture à voix haute par une jeune fille d’un texte érotique à son auteur où toutes les relations basculent à la double dynamique lancée par le simple fait de se croiser sur des escaliers mécaniques, le film multiplie les chorégraphies à la fois physiques, sensorielles et verbales qu’aucun autre médium que le cinéma ne peut ainsi mobiliser. (…)

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