Cannes, jour 9: «Les Crimes du futur» au risque des circonstances atténuantes

Le performeur Tenser (Viggo Mortensen) en proie à une quête artistique passant par la souffrance et les mutations.

Très (trop?) attendu, le film de David Cronenberg mobilise nombre des ressources qui font la réputation de cet auteur sans trouver la forme qui leur donnerait leur pleine puissance.

Ce sera une histoire un peu triste, un peu injuste. Celle d’un film trop attendu, et qui risque de payer un prix exagéré pour cette attente dès lors qu’il ne la comble pas entièrement. La nouvelle œuvre de David Cronenberg devient ainsi victime de la puissance malsaine de la communication que le cinéaste a si souvent dénoncée.

Les Crimes du futur, qui sort en salle ce mercredi 25 juste après sa présentation à Cannes, avait été installé en position de favori dans la compétition officielle. Un statut dû au fait qu’il associe les atouts supposés d’une reconnaissance incontestable d’auteur pour son réalisateur, voire d’«auteur culte» (beurk!), des attraits «bankable» du film de genre, et en particulier du film d’horreur, et de son origine nord-américaine, qui le dote a priori d’un coefficient d’attraction supérieur à toute autre région du monde.

Sans oublier la présence à l’affiche d’un comédien très apprécié, Viggo Mortensen, qui fut l’interprète principal d’une des grandes œuvres de Cronenberg, A History of Violence, et de deux des actrices les plus passionnantes de ce temps, Léa Seydoux et Kristen Stewart.

Préjugés et catégories marketing

Il y a dans ce qui précède des malentendus, des simplismes, des effets de propagande démagogue (en faveur du genre) et de domination mercantile (en faveur de l’Amérique) qui faussent en partie la perception du film, l’enferment dans des labellisations qui aident à le pré-vendre, mais interfèrent avec ce qu’il est.

Rien d’inédit là-dedans. Quand c’est le cas pour Top Gun tout va bien, le produit est conforme à sa publicité; il en est même, précisément, le produit. Avec un véritable cinéaste, c’est le contraire: elles empêchent le film d’arriver –comme tout film devrait pouvoir le faire– devant ses spectateurs avec ses seules vertus et défauts personnels, plutôt que sous l’emprise de préjugés et de catégorisations.

Il faut dire que le film lui-même ne va rien arranger à ce nuage de parasites. Multipliant des personnages au statut incertain, accumulant les dialogues souvent alourdis d’emphase et d’opacité, Les Crimes du futur n’a rien d’une proposition accueillante.

Assurément on y retrouve le sens visuel du réalisateur de Crash, même si certains repères sont un peu trop visibles –les objets technologiques en forme d’ossements organiques comme dans eXistenZ, les abdomens où on peut introduire ou d’où on peut extraire des objets mi-techniques mi-biologiques comme dans Vidéodrome, les êtres aux organes affectés de formes délirantes comme dans Le Festin nu, sans oublier le recours aux outils chirurgicaux comme dans Faux-semblants.

L’autocitation n’est pas un défaut en soi, mais ici elle ne joue aucun rôle, n’active aucun jeu ni avec ce que raconte le film, ni avec la manière dont il prend place dans l’œuvre de son auteur.

De loin en loin, une incise d’une troublante beauté (les cicatrices comme un tableau de Tàpies), un aparté horrifico-burlesque (le danseur aux yeux et à la bouche cousus et aux cent oreilles greffées) ranime la flamme d’une inventivité qui n’a besoin d’aucune justification. Mais ces rares moments restent comme déconnectés du film.

Organes politiques et érotique du scalpel

Passée la scène d’ouverture violemment troublante, la fiction s’engage en effet dans un labyrinthe volontairement sous-éclairé où s’active un couple de performeurs nommés Tenser et Caprice. Leurs œuvres consistent à faire spectacle de l’ablation du corps de l’homme par sa compagne d’organes supplémentaires que son corps génère selon des processus dont on ne saura rien.

Outre quelques plongées dans des entrailles d’un disgracieux violacé, cela donne lieu à de longues considérations sur l’art, en contrepoint d’une double enquête, menée d’une part par un tandem de membres d’une administration fantôme autoproclamée registre des organes, d’autre part par un flic retors et extrêmement élégant. À quoi s’ajoutent de multiples doubles jeux aux motivations incertaines.

Caprice (Léa Seydoux), partenaire à la ville comme à la scène de Tenser, expérimente la théorie selon laquelle la chirurgie est la nouvelle sexualité. | Metropolitan FilmExport

Il apparaîtra que cette prolifération d’organes inédits est devenue un enjeu politique, que promeuvent des activistes marginaux notamment pour permettre aux humains d’absorber eux-mêmes les déchets polluants qu’ils produisent, mutations que combat un pouvoir attaché au maintien du corps humain normé. (…)

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