«Hors du temps», les destinées émotionnelles

Étienne (Micha Lescot) et Paul (Vincent Macaigne), les frères au défi de la vie commune.

Film de confinement explicitement lié à l’histoire personnelle de son auteur, la nouvelle œuvre d’Olivier Assayas articule en douceur et avec humour l’intime et le collectif.

«Cette maison est celle où j’ai grandi», énonce d’emblée la voix d’Olivier Assayas, très reconnaissable. Hors écran, il viendra à plusieurs reprises dire l’inscription précise des scènes auxquelles on assiste dans des lieux où il a passé son enfance et son adolescence, et où il continue de retourner souvent, une maison de village dans la vallée de Chevreuse.

Cette entrée en matière affiche l’aspect le plus personnel que revendique le film, en contrepoint de la situation universelle dans laquelle il va se dérouler, la pandémie de Covid-19, plus exactement le premier confinement au printemps 2020.

Sur ce fil tendu entre personnalisation et condition commune se déploie une comédie imprégnée d’auto-ironie, mais habitée aussi d’une méditation sur le temps qui passe, la mémoire, ce à quoi on tient. Et une offrande amoureuse.

Dans la grande maison familiale hantée de traces, deux frères et leurs compagnes sont réuni(e)s en un huis clos paradoxal, puisque tout le monde est plus souvent dans le jardin, ou dans le parc de la propriété voisine et inoccupée. D’autant que la météo y met du sien pour souligner la dimension paradisiaque d’un séjour qui n’en est pas moins contraint, et cerné par un virus qui fait des ravages.

Paul (Vincent Macaigne) est réalisateur, Étienne (Micha Lescot) chroniqueur musical spécialiste du rock à la radio. Le décalque d’Olivier et Michka Assayas est explicite, Vincent Macaigne poussant plus loin l’imitation affectueusement amusée du phrasé du cinéaste, qu’il pratiquait déjà dans la série Irma Vep.

Cohabitation forcée, comédie et mélancolie

La cohabitation forcée des deux frères dans une maison surchargée de souvenirs, l’évolution des relations avec les deux femmes qui les accompagnent et qui ne se connaissent pas, se développent en circulant constamment de la comédie à la mélancolie.

Hors du temps est un authentique film de confinement, par son style et ses moyens matériels autant que par son contexte, et la manière dont il rappelle à la fois les contraintes d’alors et bon nombre des manies, angoisses, comportements extrêmes ou loufoques auxquels la situation a donné lieu.

Morgane (Nine D’Urso), la jeune compagne de Paul, tellement plus lucide. | Ad Vitam

Actant très vite combien les conditions de confinement de ses personnages sont privilégiées par rapport à celle de l’immense majorité de la population, le film s’enchante des joies retrouvées d’un rayon de soleil et d’un silence inhabituel (même à la campagne), s’amuse des paranos de Paul et de ce qu’elles dévoilent et exagèrent de comportements qui ne datent pas de la pandémie, et ne s’arrêteront pas avec elle.

Si les jeux plus ou moins infantiles des deux frères tiennent le devant de la scène, avec leur mélange de connivence, de second degré, de références codées, d’arrogance et de défis puérils, Hors du temps laisse peu à peu affleurer deux composantes qui dépassent le seul comique de situation pour en épanouir la richesse émouvante.

Les leurres de la parenthèse enchantée

L’une est de faire de mieux en mieux place aux deux femmes, à leur singularité, à leurs manières, différentes, de se révéler infiniment moins immatures que leurs compagnons, et capables de faire évoluer des contextes où les deux hommes tendent à s’enfermer.

La seconde, qui est un élargissement de la précédente, concerne les vertus, mais aussi les limites et les leurres de la notion de parenthèse enchantée, et à travers elle, de formes aussi répandues que fantasmatiques d’entre-soi identitaire.

Malgré sa singularité liée aux conditions exceptionnelles dont il est né et qu’il raconte, le dix-neuvième long-métrage de cet auteur fait ainsi écho à plusieurs de ses titres précédents. (…)

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