Lorsque l’enfant (Mateo Zoryon Francis-DeFord) découvre le prodige de la projection, à même son corps.
Hymne d’amour au cinéma et autobiographie sous le signe d’une famille qui se désunit, le nouveau film de Steven Spielberg construit un récit émouvant, mais se protège de toute zone d’ombre.
Depuis ses premières apparitions sur des grands écrans, il se répand comme une traînée de poudre que le nouveau film de Steven Spielberg serait un chef-d’œuvre. C’est tout à fait exagéré.
Récit autobiographique racontant son enfance et son adolescence sous l’influence de la double relation décisive pour le jeune Steven (Sammy dans le film) à sa famille et au cinéma, The Fabelmans est… un excellent scénario.
Mais c’est aussi, malgré quelques coups d’éclat, un film sagement illustratif dudit scénario, parfois même étrangement appliqué de la part d’un virtuose du spectacle cinématographique comme l’auteur de E.T..
L’exception Michelle Williams
Il faut ici sans tarder faire une exception à ces réserves. Elle concerne Michelle Williams, qui interprète la mère du héros.
Tandis que tous les autres acteurs déroulent (avec talent, là n’est pas la question) l’illustration de ce qu’est supposé être son personnage, elle insuffle à Mitzi une étrangeté, un trouble, une profondeur instable et dynamique d’une impressionnante puissance –qui finit par souligner par contraste le caractère littéral et calibré des autres présences à l’écran.
Femme, artiste, mère, habitée de pulsions obscures comme de désirs contradictoires et de projets incompatibles avec ceux de ses proches, elle est ce qu’aurait pu être le film lui-même.
Davantage que le personnage principal, Sam Fabelman, double explicite du réalisateur portraituré assez platement, Mitzi incarne en effet la tension entre l’élan lyrique que Spielberg tient à insuffler à son ode au cinéma et le dosage méticuleux dans ce qu’il choisit de raconter de sa famille, et de son propre parcours.
Mitzi (Michelle Williams), la mère de famille habitée d’élans contraires et fascinée par les tornades. | Universal
Entre papa, brave époux par ailleurs brillant ingénieur électronicien et cette maman qui a renoncé à une carrière de pianiste pour élever son fils et ses deux filles, Sammy découvre donc tout petit la magie du cinéma, matérialisée par le spectaculaire accident de train de Sous le plus grand chapiteau du monde, le film de Cecil B. DeMille de 1952, et magnifiée par la projection dans un immense cinéma archicomble.
De la côte est à la Californie en passant par l’Arizona au gré de l’ascension professionnelle du père, les membres de la famille Fabelman traverseront de multiples épisodes, épreuves, deuil, rupture, déménagements, dans l’Amérique conquérante de l’après-guerre, où sévit aussi un solide antisémitisme auquel le jeune Sammy aura affaire lors de son entrée au lycée.
Une apparition messianique
Au sein de ces tribulations familiales, le rapport au cinéma, passé la scène initiatique de l’accident ferroviaire, l’usage de la caméra et la réalisation de films, joue un rôle central.
Une scène pivot, aux allures d’apparition messianique, inscrit la référence peut-être la plus significative piochée par The Fabelmans dans l’histoire du cinéma, à savoir Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman.
Cette scène voit l’irruption d’un vieil oncle un peu fêlé qui annonce à l’adolescent à la fois la place qu’aura dans sa vie son rapport à l’art, et la contradiction insoluble que cela représentera avec son appartenance au cadre familial.
L’oncle Boris (Judd Hirsch), surgi des limbes du passé, de la Mitteleuropa et du monde des saltimbanques, prédit au jeune Sam (Gabriel Labelle) un avenir déchiré sous l’emprise de la passion artistique. | Universal
Soit, en effet, le fil conducteur le plus solide à travers l’œuvre entière de Steven Spielberg, même s’il ne la résume pas entièrement. Le motif de la prééminence du modèle familial court tout au long de la carrière du cinéaste, cadre sentimental infranchissable, horizon indépassable selon lui de l’inscription dans le monde des humains. (…)