«Le Roman de Jim», «La Mélancolie», deux mouvements hors des chemins balisés

Florence, Jim, son père Christophe et son père Aymeric (Lætitia Dosch, Eol Personne, Bertrand Belin et Karim Leklou): une famille? Mais qui regarde qui? Et comment?

Le film des frères Larrieu et celui de Takuya Kato empruntent, de manière contrastée, les codes du mélodrame pour explorer d’autres façons d’être, chacun, chacune, et ensemble.

Ils sont sans grand rapport en apparence, ces deux beaux films qui sortent le 14 août. Centré l’un autour d’un homme, l’autre autour d’une femme, ils ont pourtant en commun de déjouer les scénarios prévisibles pour leur personnage principal –«scénarios» désignant ici autant ce qui leur arrive dans le film que la relation que le spectateur est susceptible d’établir avec elle ou lui.

Chez les réalisateurs du film français, le personnage masculin semble, scène après scène, trouver d’autres manières d’être que ce à quoi la vie et le script semblaient le destiner.

Dans le film japonais, la protagoniste féminine, d’emblée privée de l’adhésion sans réserve du spectateur malgré le drame qui la frappe, élabore des fragments de réponses, pas forcément cohérentes, mais d’autant plus vivantes, à la situation dans laquelle elle se trouve.

Le ton chaleureux et émouvant chez les Larrieu, austère et réservé chez Takuya Kato n’empêchent pas que dans l’un et l’autre cas s’ouvrent des écarts qui sont à la fois des respirations, des manières de créer du mouvement, et des espaces de liberté pour les spectateurs.

«Le Roman de Jim» d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu

Un peu de traviole, pas à sa place ni ici ni ailleurs, cet homme n’est ni jeune ni vieux, ni beau ni laid, pas gros mais quand même pas mince. Il a fait des erreurs, a «payé», comme on dit, et après? Après, pas grand-chose. Il le sait, ce qui n’arrange rien pour enchaîner les jours de ce qu’on appelle une vie.

Trop exaltée, gourmande, expansive, cette jeune femme sur la piste de danse, et plus tard dans la chambre où elle l’accompagne parce que pourquoi pas, et pas question de finir la nuit seule. Même si la logique est que ce soit, comme à chaque fois, sans lendemain. Ce ne sera pas sans lendemain.

Pas exactement des héros, ces deux-là, dirait-on. Ni même des antihéros. À peine plus que des ombres du quotidien, celui qui n’y croit guère, celle qui y croit trop mais n’importe comment. Pourtant Le Roman de Jim sera leur histoire, romanesque, et même magnifique. Héroïque, oui, à sa façon.

Ni elle ni lui ne s’appelle Jim. Pourtant Jim était là quand Aymeric a rencontré Florence –enceinte de ce bébé que lui a laissé un autre homme avant de disparaître. Il le sait quand il a proposé de continuer ensemble, malgré tout. Ils sont montés habiter dans un chalet plus haut dans le Jura, on dirait un peu un décor de western. Jim est né.

Et cela a été joyeux, la vie là-haut. Puis Christophe, le père de Jim, tout le contraire du gentil et paisible Aymeric, est réapparu. Et rien ne s’est passé comme on aurait cru. Ni à ce moment-là, ni durant les vingt-cinq années qui ont suivi.

Adapté du roman éponyme de Pierric Bailly, le dixième long-métrage des frères Larrieu ressemble à Aymeric, incarné avec une puissance douce et ferme par Karim Leklou, acteur dont on n’en finit pas de découvrir la finesse. Comme le père adoptif de Jim, le film avance d’un pas sûr, semble à la fois disponible à ce qui va advenir et capable d’y trouver une réponse juste, loin des clichés et des automatismes.

Aymeric (Karim Leklou), le papa de Jim (Eol Personne) qui n’est pas son fils. | Pyramide Distribution

Le Roman de Jim est un film funambule, qui avance sur le fil ténu, fragile, de situations qui semblent tissées de conventions et se révèlent chaque fois plus composites, plus instables. Les situations –retrouvailles, abandon, malentendus, dangers, conflits– sont diverses, et souvent inconfortables. Un mot semble pourtant les définir toutes: générosité.

La générosité d’Aymeric, qui passe parfois pour de la faiblesse, et qui le fait avancer mieux et plus loin, est aussi la générosité de la mise en scène. De la manière de regarder chacune et chacun, de laisser arriver et repartir, d’écouter des irruptions de désir, de colère, de désarroi. Ou aussi bien d’aller se promener, dans la montagne ou près du lac.

C’est souvent affaire de regards en effet, entre les protagonistes comme de la façon dont la caméra s’approche ou pas, attend un peu plus qu’un mouvement ou une réplique. C’est souvent là que ça se passe, comme on dit; et il se passe beaucoup.

La belle morale cinématographique de ce récit qui choisit de porter attention aux gestes simples, de mettre en valeur les réponses qui n’en rajoutent pas dans le drame, est que l’ensemble est d’une grande intensité, accumulée par la succession des moments vécus, joyeux ou déprimés, et revivifiée par eux.

Dans le cours du film, que relancera la très belle apparition d’une autre femme comme sortie de la nuit, deux ressources viennent à la fois renforcer et fluidifier la succession des épisodes qui jalonnent la vie d’Aymeric. La première est sa voix off, lucide sans être surplombante, attentive sans croire mieux savoir ou mieux comprendre que les autres.

Olivia (Sara Giraudeau) et Aymeric, parce que la vie n’est pas finie. | Pyramide Distribution

La seconde est liée à sa pratique, depuis tout jeune, de la photo. Avec cette très belle idée d’avoir traversé une longue part de son existence en prenant des milliers d’images sans les faire tirer sur papier.

Comme une vie en état de latence: 82.000 clichés dira-t-il lorsque, après l’arrivée du numérique, il y aura la possibilité de les faire apparaître au jour. On peut parler de passer du négatif au positif mais ce serait trop simple; c’est la profusion des images qui dit plus de ce qu’a été, et reste, son rapport au monde, plutôt que ce qui figure sur l’une ou l’autre.

La voix off, les milliers de photos pas développées, ce sont des idées –des bonnes idées. Elles ne suffiraient pas à faire un film. Dans Le Roman de Jim, c’est la manière de filmer, la relation entre voix et corps, entre images visibles et images invisibles qui en fait bien davantage: du matériau vif.

Le Roman de Jim
d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu
Avec Karim Leklou, Lætitia Dosch, Bertrand Belin, Sara Giraudeau, Noée Abita, Eol Personne, Andranic Manet
Durée: 1h41
Sortie: 14 août 2024

«La Mélancolie» de Takuya Kato

Watako (Mugi Kadowaki) à l’épreuve de ses souvenirs et de ses choix. | Art House

Une scène de ménage à fleurets mouchetés, un accident, un geste suspendu, un deuil… Le début annonce un déroulement autour de problèmes sentimentaux, de couples, comme dans tant d’autres films. Mais bientôt s’installe une étrange sensation.

Les péripéties adviennent autour de Watako, cette jeune femme dont l’amant vient de mourir brusquement. Elle était tout près, a failli intervenir, ne l’a pas fait. Cet acte interrompu pèsera de son absence, si on peut dire, sur le film. C’est de cela qu’il s’agit: le poids, impalpable et envahissant, de ce qui n’est pas fait, de ce qui n’est pas dit. (…)

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