Harry Potter et l’avant-première maléfique

Branle-bas de combat chez les professionnels du cinéma. Harry, trahison! Motif de cette agitation: pour la sortie du septième et dernier épisode des aventures du jeune sorcier franchisé, Harry Potter et les reliques de la mort 2e partie, le 13 juillet, son distributeur, Warner, organise la veille une avant-première publique (et payante) non pas dans un grand cinéma comme il est d’usage, mais au Palais Omnisports de Paris-Bercy. C’est-à-dire hors du périmètre du monde cinématographique.

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La guerre des salles aura-t-elle lieu ?

Pathé Palace AvignonAu moment où les pouvoirs publics inventent une dispositif efficace et égalitaire pour aider au passage à la projection numérique, les salles de cinéma se lancent dans un affrontement fratricide.

Il y a une semaine, mercredi 4 novembre, un nombre important parmi les quelque 5400 salles de cinéma françaises a éteint ses enseignes pendant une heure. Il s’agissait d’attirer l’attention du public, et des divers responsables, sur les difficultés que connaissent une partie des cinémas, notamment dans les villes petites et moyennes. Cette situation apparaît comme injuste puisque l’ensemble du secteur est prospère, avec une nouvelle hausse des entrées de près de 10% en perspective pour 2009, au terme d’une décennie qui a vu la fréquentation en salles progresser de manière quasi-constante, contredisant les prédictions funestes quant à l’avenir du cinéma, a fortiori du cinéma en salles, prédictions récurrentes depuis… 50 ans (au moins).

Le moment de cette protestation organisée s’est trouvé recouper un autre calendrier. En effet venait tout juste d’être annoncée une mesure à tous égards remarquable, la création du « Fonds de mutualisation » destiné à aider toutes les salles, mais surtout celles qui disposent de moyens financiers limités, à passer à la projection numérique. Tendance irréversible, le remplacement des projecteurs de pellicule par des projecteurs de fichiers numérisés est depuis près de 10 ans la grande affaire des professionnels de la distribution et de l’exploitation. Grande aventure technique et industrielle, elle est aussi un enjeu politique, au sens strict de politique culturelle, puisqu’à cette occasion risquait de se produire une cassure irréversible entre les poids lourds du secteur (dont beaucoup ont déjà commencé de s’équiper) et que cette cassure du réseau de salles en une exploitation à deux vitesses entraine au passage la disparition d’un grand nombre d’écrans. C’est contre ce double risque que le CNC (dont les initiales depuis cet été signifient Centre national du Cinéma et de l’image animée, drôle de nom), que le CNC, donc, a créé ce dispositif de mutualisation :

http://www.cnc.fr/Site/Template/T3.aspx?SELECTID=3626&ID=2567&t=2

Son fonctionnement est exemplaire en ce qu’il permet grâce à la participation d’organisme public de mutualiser les risques, et de couvrir à 75% les frais de transformation. Mais sa mise en place (qui doit encore être traduite dans les faits) possède aussi le mérite insigne de rappeler de manière plus générale le sens d’une action d’intérêt public dans un secteur à la fois économique et culturel. Contre les rivalités « naturelles » entre les acteurs (entre salles de tailles et de puissances inégales, et entre les exploitants et les distributeurs), la solution mise en place manifeste, au nom des enjeux non-commerciaux dont les salles sont aussi porteuses, la possibilité d’un autre mode de développement – exactement le type de raison qui fait que le CNC dépend du Ministère de la Culture et pas de ceux en charge de l’industrie et du commerce.  Cette intervention était d’autant plus bienvenue qu’au cours des dernières années, dans un environnement politique et idéologique très hostile à tout ce qui relève de la prise en compte des intérêts collectifs, le CNC n’avait guère pu jouer ce rôle, paraissant souvent réduit à enregistrer l’état des rapports de force entre les lobbies.

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C’est pourquoi lors du congrès annuel de la fédération des exploitants (la FNCF), à Deauville le 20 septembre, la présidente du CNC Véronique Cayla pouvait à bon droit se prévaloir d’une avancée significative sur le dossier le plus brûlant et le plus complexe concernant l’exploitation. Et c’est pourquoi l’attitude des exploitants qui, au nom de la situation financière d’une partie d’entre eux (la petite et moyenne exploitation), transformèrent ce congrès en mise en accusation du CNC aura semblé un geste inconséquent, à la fois injuste et dangereux. Le CNC avait pourtant proposé de mettre en place des dispositifs d’aide aux salles les plus fragilisées. Mais sous l’influence directe des grands circuits, les exploitants ont réclamé une hausse de leur part sur les recettes (aujourd’hui environ 50%) pour toutes les salles. Ce qui aurait pour effet d’une part de bénéficier surtout aux plus riches, alors que déjà les multiplexes représentent 34% du nombre total d’écrans, mais 56% de la fréquentation, et d’autre part de se faire au détriment des autres ayants droits, cinéastes, producteurs et distributeurs. Soit une logique corporative instrumentalisé par les grands circuits, et qui tend à détruire la « solidarité » entre les différentes branches du secteur – et donc aussi ce qui, au-delà des logiques gestionnaires des uns et des autres, ressemblerait à un « intérêt supérieur du cinéma ».

L’ire des responsables de salle avait un autre motif : leurs collègues de la production venaient d’obtenir des pouvoirs publics une modification du fonctionnement des financement permettant de faire payer de sommes conséquentes aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) en échange d’une réduction du délai de diffusion des films sur les petits écrans (DVD et VOD) après leur sortie en salle, de 6 à 4 mois. Le manque à gagner réel des exploitants du fait de ce changement est minime, vu le peu de temps durant lesquels ils gardent les films à l’affiche – délai très inférieur à 4 mois. Mais l’idée qu’une autre branche du secteur ait obtenu un pactole sans qu’eux-mêmes y participent est de nature à énerver tout lobby qui se respecte (en d’autres temps les producteurs feraient de même contre les exploitants).

L’affaire en elle-même est une escarmouche comme il ne cesse de s’en produire dans le cinéma français, même si chaque fois les protagonistes tentent d’en faire l’Armaggedon du 7e art. Mais elle est significative des deux logiques qui travaillent le cinéma en France, et prend un relief particulier au moment où une action spectaculaire des pouvoirs publics, la création du Fonds de mutualisation, aurait au contraire du permettre une avancée collective. A suivre.

JMF