Deux films que tout oppose se sont partagé les écrans du Palais des festivals: un conte moral en forme de film d’horreur, «The House That Jack Built» de Lars von Trier, et une fresque sans morale en forme de film social, «En guerre» de Stéphane Brizé.
Photo: Matt Dillon, le tueur en série de The House That Jack Built.
Il y a une incontestable malice, voire une certaine perversité à proposer en sélection officielle le même jour deux films aussi antinomiques que En guerre de Stéphane Brizé (en compétition) et The House That Jack Built de Lars von Trier (hors compétition).
C’est-à-dire un cinéma utilitaire, à message, bien au chaud dans ses certitudes de défendre le bien à coups de scènes illustratives et à sens unique, par opposition à un cinéma inquiet, instable, dérangeant mais sans cesse stimulant.
The House That Jack Built, bâti sur des abîmes
Inquiet, instable, dérangeant mais sans cesse stimulant, ainsi est le très audacieux nouveau film de Lars von Trier, centré sur un serial killer américain pour discuter fort explicitement de ce que signifient le bien et le mal, dans la vie et en art.
Lars von Trier ne connaît pas les réponses, et à la différence de beaucoup d’autres, il ne prétend pas les connaître.
Il met en jeu, au travail, il déstabilise. La violence la plus crue et l’humour le plus sophistiqué, la splendeur des cathédrales et la folie de Glenn Gould combattant à mains nues la musique de Bach, le vertige des apparences, des préjugés, des formules toutes faites et monstrueusement efficaces alimentent le film comme on alimente un brasier.
Et il s’agit bien d’une fournaise, celle de l’enfer vers lequel se dirige, durant la quasi-totalité du film, l’assassin sadique aux pulsions «créatives», dialoguant avec celui qui l’emmène, avatar du Virgile de Dante doté de la voix de Bruno Ganz.
Dans le rôle de ce Jack qui se rêve architecte, sinon «Grand Architecte», Matt Dillon est impressionnant de présence physique, de séduction et de self-control narcissique. Il impose son personnage comme un repère, atroce mais fixe, au milieu du maelström d’idées qu’impulse le réalisateur.
Au passage, celui-ci répond de ses propres déclarations stupides d’un précédent Festival de Cannes (sans les justifier ni les regretter)… et montre qu’il reste un metteur en scène d’une exceptionnelle puissance de suggestion. (…)