Les Lendemains de Bénédicte Pagnot
Nous vivons des temps déplaisants, où un premier film français que n’accompagne aucun parrainage prestigieux ni aucun signe extérieur de richesse (genre culte, vedette au générique, etc.) souffre d’un mélange d’indifférence et de soupçon d’illégitimité de principe. A lui seul, le premier long métrage de Bénédicte Pagnot suffirait à renvoyer un tel état d’esprit à sa juste place : à la poubelle. Les Lendemains est un film d’autant plus digne d’attention, d’intérêt et d’affection qu’il ne semble d’abord guère payer de mine. Très délibérément, il se présente au début comme la chronique méthodique des différents épisodes de la vie d’Audrey après qu’elle ait eu son bac, quitté sa famille, sa meilleure copine et sa petite ville pour s’inscrire en fac dans une métropole régionale – c’est Rennes, ce pourrait être Caen, Metz ou Limoges.
Chaque séquence est un fragment, qui « dit quelque chose » sans forcément tout à fait raccorder aux autres, sinon grâce à la présence à la fois vive et mate de l’actrice principale, l’excellente Pauline Parigot, dont la présence à l’image rappelle un peu celle de Virginie Ledoyen à ses débuts, dans L’Eau froide et La Fille seule. La force sans démonstration de force des Lendemains et d’assumer peu à peu un double enjeu de récit, sans presqu’avoir l’air de s’en soucier.
Un de ces enjeux est une « histoire », l’accompagnement d’une trajectoire dramatique qui va mener Audrey à rejoindre un petit groupe de marginaux vivant en squat, jusqu’à entrer dans une spirale d’actions illégales. Mais l’autre enjeu, le plus important mais le moins affiché, consiste à prendre acte d’une multitude de composants de l’existence d’aujourd’hui, en toute connaissance de cause de l’usure des modes de représentation habituels, discours militant, psychologie, cynisme, humour décalé. Bénédicte Pagnot cherche la bonne distance, ou plutôt prend acte sans le dire que celle-ci n’existe pas, qu’elle a été dévaluée à l’extrême ou pervertie, mais que ce n’est pas une raison pour détourner le regard du vécu de nos contemporains, nos voisins, nos parents ou nos enfants.
Le casting où ne figurent que des interprètes quasi-inconnus (même si on avait déjà repéré la belle présence de Louise Szpindel) et le montage en puzzle qui ne fait pas disparaître l’image d’ensemble ni la chronologie mais garde bien visible ce qui sépare les composants, font partie des principaux atouts d’un film qui bénéficie en outre, plus simplement, plus secrètement aussi, d’une étonnante justesse dans la capacité à montrer une laverie automatique, une clope partagée avec une copine sous un abribus ou une manif, aussi bien qu’à croiser le moment venu des codes du film d’action. Pour les utiliser et les redéposer un peu plus loin, l’air de ne pas y toucher, avec un liberté et une légèreté qui sont le beau cadeau des Lendemains.