Classiques redevenus accessibles dans de bonnes conditions, découvertes de films passés sous les radars lors de leur sortie, expérimentations radicales, possibilité de retrouver des réalisations marquantes de ces derniers mois, richesse des ajouts éditoriaux. Les usages du DVD sont multiples et précieux.
D’abord, au moment de proposer ce petit survol des offres récentes de DVD, il faut rappeler que les sorties en salles ne s’interrompent pas pour autant. Parmi celles de cette semaine du mercredi 25 juin, figure au moins un titre digne d’attirer une grande attention. Découvert au Festival de Cannes, où il a obtenu le Prix de la mise en scène dans la sélection Un certain regard, Once Upon a Time in Gaza des frères Arab et Tarzan Nasser, critiqué ici, est une proposition singulière à ne pas manquer, d’autant plus dans le contexte actuel.

Ensuite, faisons le rappel rituel mais nécessaire que, contrairement à une idée très répandue, l’usage du DVD et du Blu-ray, s’il décroît d’année en année, est loin d’être devenu marginal avec 24,1 millions de petites galettes vendues en 2024 en France, selon les chiffres du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Mode de relation aux films, désormais clairement minoritaire comparé aux salles, aux plateformes, à la vidéo en ligne et à la télévision, ce dispositif conserve ses raisons d’être.
Il s’agit d’abord du plaisir, ou du besoin, d’avoir chez soi un objet physique en lien avec une œuvre qui tient à cœur à qui la détient, ou dont il ou elle a des usages particuliers, notamment pédagogiques. Il s’agit aussi du travail éditorial qui accompagne souvent les transferts de longs-métrages sur les rondelles de polycarbonate.
Vidéos, extraits, récits, making of, documents imprimés, textes de réflexion, photos, autres réalisation en rapport avec le film et bien sûr assemblage de films dans des coffrets déploient des ressources qu’aucun autre mode de diffusion ne permet.
Les DVD (et Blu-Ray, traités ici indistinctement) offrent une deuxième chance à des films sortis en salles de manière trop confidentielle. Ils suscitent la découverte de réalisations restées inédites. Ils offrent l’occasion d’explorer des marges qui ne trouvent pas droit de cité sur les grands écrans ni sur les plateformes.
Et, bien sûr, ils font vivre un rapport au patrimoine cinématographique que les restaurations rendent accessibles dans de bonnes conditions d’image et de son. À condition de les utiliser avec le matériel de lecture, si possible de projection, à la hauteur de la qualité de l’offre technique de l’objet édité.
«Quatre Nuits d’un rêveur», de Robert Bresson (Potemkine)
Pendant des décennies, ce fut un graal hors d’atteinte. La réédition, de très bonne qualité, d’abord en salles –tel que découvert au Festival de Cannes en 2024– et désormais sur support vidéo physique, rend accessible un film exceptionnel, y compris au sein de l’œuvre incomparable de Robert Bresson.
Réalisé en 1971, dans un moment de relatif espoir d’une amélioration de l’état du monde et des rapports des humains entre eux, Quatre Nuits d’un rêveur accompagne les entreprises amoureuses d’un jeune peintre dans Paris, avec une légèreté et une sensualité inoubliables.
Aux confins de l’adaptation littéraire (Fiodor Dostoïevski) et de l’autobiographie, le film trouve un chemin mystérieux, où se mêle humour, voire autodérision, émotion et jeu avec les codes du roman de formation. Grand film d’apparence modeste, il éclaire aussi d’un jour singulier l’ensemble de l’œuvre de l’auteur de Pickpocket (1959) et du Diable probablement (1977).
Quatre Nuits d’un rêveur de Robert Bresson (1971)
Potemkine
«Sambizanga», de Sarah Maldoror (Carlotta Films)
Réalisé en 1972, soit en pleine guerre d’indépendance de l’Angola et à un moment où les cinémas d’Afrique en sont encore au début de leur éveil, par une femme quand elles sont si rares derrière la caméra, Sambizanga a bien des raisons d’attirer l’attention. C’est surtout un film impressionnant, émouvant, jouant de manière dynamique et sensible avec les codes du cinéma engagé en circulant entre combat pour une cause et proximité intime avec son héroïne et celles et ceux qu’elle rencontre.
Resté très longtemps presqu’invisible, le deuxième long-métrage de Sarah Maldoror conte la longue quête, au village et à Luanda (capitale de l’Angola), d’une femme à la recherche de son mari kidnappé par la police coloniale portugaise. Il est à plus d’un titre une nécessaire et heureuse (re)découverte. L’édition comporte également quatre courts-métrages de cette artiste et militante anticolonialiste, dont la place n’a vraiment commencé d’être redécouverte qu’après sa mort en avril 2020.
Coffret Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor (Potemkine)
«Une expérience cinématographique sans commune mesure», annonce le sticker promotionnel, qui en l’occurrence dit vrai. Les quatre réalisations des cinéastes et anthropologues Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor sont autant de propositions exceptionnelles de mobilisation des ressources du cinéma pour approcher, comprendre, éprouver des situations elles-mêmes à la fois singulières et extrêmes.
Inventant une façon nouvelle de filmer la mer, le ciel, ceux qui y vivent (poissons et oiseaux) et ceux qui y travaillent (pêcheurs à bord d’un chalutier industriel), Leviathan (2013) est un tournant dans l’histoire du langage cinématographique. Le labyrinthe des rêves et du langage avec somniloquies (2017), la folie jusqu’au crime et à l’autodestruction approchées avec une grande douceur par Caniba (2018), les relations organiques entre l’intérieur du corps humain, le travail des soignants et l’appareil hospitalier de De humani corporis fabrica (2023) accueillent des regards inédits, troublants, bouleversants.
Dans les coffrets (DVD ou Blu-ray), le travail des deux artistes et enseignants au sein du centre de recherche Sensory Ethnography Lab de l’université Harvard est accompagné d’un riche ensemble de documents et commentaires, à la fois sous forme de bonus vidéo et dans un livret bien fourni (où figure un entretien avec les réalisateurs par l’auteur de ces lignes).
«Vitalina Varela» et «Ventura», de Pedro Costa (Survivance)
Ce sont des films récents et pourtant déjà des classiques. Vitalina Varela est sorti en France en 2022, Ventura aussi, mais plusieurs années après avoir été présentés en festival. La splendeur visuelle y est une ressource narrative et une affirmation politique, autour de ces deux figures –l’héroïne Vitalina, le héros Ventura– et l’odyssée de chacun dans les dédales des quartiers pauvres de Lisbonne.
Venu du Cap-Vert depuis longtemps pour Ventura, tout juste débarquée de l’archipel pour Vitalina, ils sont au cœur de deux voyages à la fois oniriques et réalistes, d’une beauté sidérante et pourtant féconde. Ces deux films du Portugais Pedro Costa sont deux nouveaux sommets de l’œuvre d’un des cinéastes contemporains les plus inspirants, dans la continuité d’un travail au long cours où attention à l’état du monde et exigence formelle cheminent de concert. (…)
