Dans la salle d’attente, un père chante et danse pour sa fille aux deux jambes brisées.
Le documentaire de la réalisatrice Ye Ye accompagne quelques patients d’un immense hôpital et en fait une impressionnante saga, émouvante et romanesque.
«C’est comme un grand marché ici», raconte au téléphone un homme plus accoutumé aux foules sur les places de village qu’à fréquenter une immense institution médicale au cœur d’une grande ville.
H6 est le nom abrégé de l’hôpital du Peuple n°6 de Shanghai, gigantesque labyrinthe de couloirs, de salles d’attente, de chambres, de blocs opératoires, de guichets administratifs, de hangars de stockage, de chambres froides, de cuisines…
La réalisatrice n’y introduit pas par des plans généraux ni par une carte, elle n’y fait pas entrer par la grande porte de l’accueil. Le film a commencé à la campagne, à plus de 1.000 kilomètres de Shanghai, dans une famille de paysans. La femme, ayant accompli ses travaux aux champs, part rejoindre son mari, hospitalisé au H6 après qu’une chute lui a brisé les cervicales.
Cinq pistes à suivre
Dans la mégapole chinoise apparaît un vieil homme pauvrement vêtu. Parcourant les couloirs ultramodernes du métro, il s’aide péniblement de ses béquilles. Lui aussi a rendez-vous au H6, pour le suivi de l’état de ses jambes.
Voici une toute petite fille, renversée par un bus. Son père, son grand-père et ses oncles tentent à la fois de l’accompagner dans sa souffrance, de combattre la peur qui tenaille la gamine, et de négocier avec la compagnie de transports la prise en charge des frais.
Leur chemin à travers les services croise celui d’un homme qui chante à gorge déployée au milieu du service de traumatologie, pour remonter le moral d’une adolescente, sa fille, aux jambes brisées dans un accident qui a tué sa mère.
Avec infiniment de tendresse, le vieux monsieur effleure la main de sa femme, inerte, dont la dernière lueur de vie s’est réfugiée dans des yeux humides. Au téléphone, il essaie de trouver un acheteur pour son appartement afin de continuer de payer des frais d’hôpital qui prolongeront de quelques jours une existence dont le terme est de toute façon imminent.
La paysanne du début arrive au chevet de son mari, aide à le nourrir, commence avec lui la longue réflexion à propos d’une opération, dangereuse et très onéreuse, délibération à laquelle se mêleront médecins, infirmières et membres de la famille.
Un roman-fleuve
Ainsi va le documentaire de Ye Ye, jeune réalisatrice chinoise retournée dans son pays après avoir étudié en France. Documentaire assurément, le film est aussi un assez extraordinaire récit, tissé des trajectoires entrelacées de ces cinq cas parmi des milliers, et de leurs infinies interférences avec des personnes, des techniques, des croyances, des règlements, des espoirs, des détresses. (…)