Sils Maria d’Olivier Assayas, avec Juliette Binoche, Kristen Stewart et Chloë Grace Moretz. Durée: 2h03. Sortie: 20 août 2014.
«Quand soudain, amie, un fut deux»… écrit Nietzsche dans le poème qui porte le même titre, Sils Maria, nom de ce village de l’Engadine suisse, près de la frontière italienne, où il eut l’intuition du mythe de l’éternel retour et connut ses derniers jours de paix avant la folie à Turin. «Nous nous sommes aimés dans un village perdu d’Engadine au nom deux fois doux: le rêve des sonorités allemandes s’y mourait dans la volupté́ des syllabes italiennes», ajoutera Proust dans Les Plaisirs et les jours.
Ne craignons pas d’invoquer des ombres, imposantes ou pas: Sils Maria est en vérité un lieu hanté, et où se produisent d’étranges phénomènes. Certains sont météorologiques, tel cet impressionnant «serpent de Maloja», qui est aussi le titre d’une pièce de théâtre et d’un film. Il existe néanmoins réellement, ce dragon de nuages qui monte du Piémont –il a d’ailleurs été filmé par le réalisateur allemand Arnold Fanck, en 1924. On le voit dans le film d’Olivier Assayas, jadis et aujourd’hui. Il revient, comme l’araignée du vieux Friedrich.
«Présence réelle», s’intitule le chapitre du recueil de Proust où il est question de s’aimer à Sils Maria. Tout est réel dans Sils Maria d’Assayas. Les vivants et les morts, les images et les pierres, le présent et le passé, le passage du temps, la fierté et le désir, les ragots sur Internet, la neige sur la route, les textes des grands auteurs authentiques ou inventés, la jalousie, la brume maléfique et peut-être numérique. Réels, les fantômes littéraires et ceux du web, réelles les femmes, les héroïnes, les personnages.
La question du passage du temps, qui est à la fois la revendication d’une inscription dans un âge, l’angoisse de vieillir et l’appartenance plus ou moins assumée à une époque à laquelle une énorme pression assigne tout un chacun, et toute une chacune sans doute encore davantage, cette question multiple à laquelle le mythe de l’éternel retour avait voulu échapper, est comme le code générique du film, elle le met en forme de l’intérieur. Mais «vivre avec son temps», c’est quoi?
Parvenir ainsi à un film qui, comme le fleuve de nuages, semble lui aussi avancer d’une seule coulée, d’un seul ample et sinueux mouvement malgré la richesse et la diversité de ses composants, est le sidérant accomplissement d’une œuvre pourtant d’un abord extrêmement aisé.
Maria Anders est une star, c’est une Française mais une star internationale, demandée sur trois continents, jouant le plus souvent en anglais –qui est aussi la langue du film. Elle est entrée dans la lumière des projecteurs, ceux du théâtre et presqu’aussitôt du cinéma, grâce à une pièce devenue un film, Le Serpent de Maloja. Elle y incarnait Sigrid, une jeune femme séductrice et conquérante qui prenait l’ascendant sur une autre de vingt ans son aînée, riche et considérée, Hélène. Aujourd’hui, le Destin, les impresarios, un Méphisto artiste, le goût du défi poussent Maria à accepter de jouer Hélène, cette femme mûre dont elle a désormais l’âge, face à Jo-Ann, une jeune vedette de Hollywood qui partage sa vie publique entre rôle de superbimbo en combinaison spatiale et scandales de mœurs en ligne.
Chloë Grace Moretz, Jo-Ann dans Sils Maria
Maria s’installe à Sils Maria, où vivait l’auteur du Serpent, qui fut son mentor, en compagnie de Val, son assistante, pour répéter. C’est donc Val, qui a dix ans de plus que Jo-Ann et dix de moins que Maria, qui dit les répliques de Sigrid. Mais «dire les répliques», «répéter», «être l’assistante de», ce sont des rôles, des fonctions, un travail. Dès qu’on fait ça, qu’elles font ce travail, il s’en passe des choses! Des mouvements comme des flux, des pulsions, des désirs, des frayeurs, des prises d’ascendants, des vertiges…
Le spectacle n’est pas la vie, la préparation du spectacle n’est pas le spectacle, oh non, ce serait bien trop bête. Entre vie quotidienne, spectacle, répétitions, solitude, pouvoir, joie enfantine, show-business, intimité, qui sont tous dans le monde, il n’y a ni équivalence ni étanchéité.
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J’imprime et conserve . A
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Bonheur .Retrouver Assayas
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