Au plus grand festival de cinéma d’Asie à Busan, de beaux films et un miracle

Le Festival de Busan, en Corée, sort de la phase aiguë d’une crise qui a failli détruite un des principaux fleurons du cinéma asiatiques. Leçon politique et fécondité artistique y sont au rendez-vous.

La 21e édition du Festival de Busan (BIFF) s’est tenue, du 6 au 15 octobre, dans des conditions particulières. La plus grande manifestation asiatique de cinéma est, en effet, dans une phase délicate de sortie de crise, sans qu’on sache encore à quoi ressemblera son avenir.

L’affiche du film qui a failli couler le Festival

La présentation en 2014 du documentaire Diving Bell consacré à l’incurie et aux mensonges du gouvernement au moment du naufrage d’un ferry qui a causé la mort de plus de 300 personnes, pour la plupart des lycéens, a déclenché un bras de fer entre le pouvoir ultra-conservateur, représenté par le maire de la deuxième ville de Corée, et le Festival soutenu par l’ensemble de la communauté cinématographique coréenne et un gigantesque mouvement de solidarité internationale.

À la Berlinale ou sur les murs du BIFF, quelques témoignages des soutiens au Festival

Au cours de débats organisés durant le Festival pour organiser la suite est notamment apparue l’idée qu’il était à la fois indispensable que la manifestation continue d’avoir lieu et bénéfique que la mobilisation demeure élevée. Car le conflit est loin d’être achevé.

Après de multiples rebondissements, le maire a accepté un changement de réglementation lui ôtant tout pouvoir sur la programmation, mais le directeur du Festival à l’époque, Lee Yong-kwan, et ses adjoints restent sous le coup d’inculpations aussi injustes qu’infâmantes.

Kang Soo-youn, directrice et stratège

Dans ce contexte, les deux stratèges qui pilotent la crise, l’actrice Kang Soo-youn devenue directrice et le vieux fondateur de la manifestation Kim Dong-ho, ont réussi à maintenir l’édition de cette année, malgré l’opposition de ceux qui souhaitaient un conflit ouvert passant par l’annulation du Festival.

Même amputé de certains participants, et d’une partie de ses financements, le Festival s’est donc déroulé dans les imposants bâtiments qui hébergent cette véritable ville-cinéma qu’est devenu le quartier balnéaire de Haeundae, qui jouxte la grande cité portuaire.

Menaces politiques ou économiques

Busan a, en effet, été à une époque imaginé par les responsables du cinéma coréens, les édiles et les entrepreneurs comme une capitale –nationale, voire à l’échelle de la façade Pacifique– pour le cinéma. Un rêve gravement endommagé par les changements politiques très rétrogrades des quatre dernières années en Corée-du-Sud.

Mais le combat mené à Busan ne concerne pas les seuls Coréens. Un peu partout dans le monde, des festivals sont en butte aux interventions de pouvoirs autoritaires, récemment le très réactionnaire ministre de la Culture polonais a obtenu la tête du directeur de l’excellent Festival de Gdynia, Michał Oleszczyk.

En France, pour l’instant pas de pressions explicitement politiques, mais dans un contexte de désengagement financer des collectivités territoriales, des menaces nombreuses, et de des avis de disparition de plus en plus fréquents : récemment l’historique et si précieux Festival de Manosque, ou le dynamique et inventif Belleville en vues à Paris.

Alors que la prolifération des festivals de cinéma est un phénomène planétaire qui construit les possibilités d’existence d’un cinéma divers face à la surpuissance des blockbusters, ces manifestations demeurent fragiles, et le cas d’un de ses plus beaux fleurons, à Busan, y prend à cet égard valeur d’exemple, et d’avertissement.

Mais le BIFF s’est donc tenu, et même bien tenu  –un «miracle» selon les mots de sa directrice Kang Soo-youn, le site ayant en outre été frappé par un puissant typhon la veille de son ouverture. Mais même si une partie des événements collatéraux ont réduit la voilure, les habitués y auront retrouvé la nuée de jeunes volontaires qui font partie du charme, et de l’efficacité du BIFF, et ce public de milliers de jeunes gens friands de films de toutes origines et de tous styles.

Hou Hsiao-hsien et le fondateur et désormais président du BIFF, Kim Dong-ho

Sous le parrainage de trois grands réalisateurs asiatiques, le Taïwanais Hou Hsiao-hsien, le Japonais Hirokazu Kore-Eda et le Coréen Lee Chang-dong, la programmation, dont quelque  130 nouveautés venues de tout le continent asiatique, ont permis quelques découvertes passionnantes. Si certaines se jouent ailleurs que dans le domaine de l’art du cinéma, telle la présence contrastée de deux films iraniens consacrés à l’islam, d’autres en relèvent absolument.

« Wet Woman in the Wind » d’Akihiko Shiota

Ainsi du très beau film chinois The Knife in the Clear Water premier long métrage de Wang Xue-bo, judicieux lauréat du grand prix de la section New Currents. Ou, pour s’en tenir à deux titres seulement, le très réjouissant film érotique japonais Wet Woman in the Wind de Akihiko Shiota.

Digne de la grande époque du pinku-eiga qui fit les beaux jours de la Nikkatsu dans les années 1970 et servit de base de lancement à toute une génération de jeunes réalisateurs doués, il compose un hymne à la puissance subversive du désir féminin, alliant humour et sensualité avec un tonus du meilleur aloi.

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