Le récit au présent du procès des résistants contre l’apartheid il y a 55 ans par Nicolas Champeaux et Gilles Porte avec les dessins d’Oerd, et la série des portraits tournés par Alain Cavalier explorent des voies aussi différentes qu’également originales pour explorer et donner à comprendre la réalité.
Des héros, des vrais, dont on admire sans réserve les actes et les idées, cela ne se trouve pas si souvent. Un film avec neuf personnages comme cela bénéficie donc d’un attrait immédiat. C’est loin d’être le seul.
Les réalisateurs français ont reconstitué l’arrestation et le procès des neuf dirigeants de l’ANC, capturés par la police du régime raciste sud-africain en 1963, et jugés lors du procès de Rivonia.
L’un d’entre eux est ultra-célèbre, Nelson Mandela. Les autres, qui avaient désigné Madiba comme leur principal porte-parole, ne lui cèdent en rien en courage et en intelligence politique. Ils encourreront d’ailleurs des peines aussi lourdes.
Christophe Champeaux et Gilles Porte ont construit leur film grâce à l’existence à trois archives très différentes: classiquement avec des documents visuels montrant la longue lutte contre l’apartheid, mais surtout avec deux ressources originales, l’enregistrement sonore du procès, et la présence des trois hommes encore vivants parmi ceux qui se trouvaient sur le banc des accusés, ainsi que deux de leurs avocats.
Noirs, blancs, indiens, métis, ces vieux messieurs qui ont incarné sans faillir le courage et la droiture offrent, par leur présence à l’image, une réalité physique que l’âge ne rend pas fragile, et que leur humour et leur énergie actuelle font vibrer.
Une archive de la longue lutte contre le régime d’apartheid
Le cinéma, c’est toujours voir au présent des êtres et des situations qui ont été enregistrées dans un autre présent, celui du tournage. Le très simple dispositif qui consiste ici à faire écouter au moment de ce tournage les traces d’il y a cinquante-cinq ans démultiplie à l’infini ce processus.
À elle seule, cette situation confrontant les sons de jadis et les corps de maintenant serait d’une richesse étonnante. Sans même parler de la valeur des documents sonores alors enregistrés, autre manifestation de cette collision de temporalités différentes: les mots du racisme d’alors, la violence ouverte, sûre d’elle-même, de l’apartheid, détonnent à nos oreilles actuelles. Mais qui peut dire que les injustices criantes qu’elles traduisent sont d’un autre temps?
Déplacements et circulations
Le travail effectué par Christophe Champeaux, journaliste qui connaît très bien l’Afrique du Sud où il a longtemps été correspondant, et le cinéaste Gilles Porte, à qui on devait en particulier l’étonnant et fécond dispositif de Dessine-toi, met en jeu ces circulations à travers les époques, et ce qu’elles mobilisent à la fois de compréhension des événements passés, et d’émotions actuelles.
Leur récit est évidemment centré sur le procès, mais il ne s’y limite pas. Il l’inscrit dans le réseau des événements de l’époque, dans l’histoire de l’Afrique du Sud jusqu’à aujourd’hui, et dans les effets de ce moment-clé qu’a été le procès dans l’existence des gens personnellement liés aux protagonistes, composant ainsi une riche matière où histoire et chroniques individuelles s’associent de multiples manières.
Le face à face entre le juge et Nelson Mandela, dessin d’Oerd
Leur entreprise est considérablement enrichie d’une autre mise en circulation, cette fois entre images documentaires et animation. Avec le concours inspiré du graphiste Oerd, les réalisateurs donnent une présence visuelle à ce qui n’existait plus que sur la bande son.
Du bon usage de l’animation documentaire
Les dessins en noir et blanc d’Oerd opèrent à leur tour des déplacements. Certains, réalistes, évoquent les scènes de l’arrestation brutale des dirigeants de l’ANC et des moments significatifs du procès, en particulier des affrontements pied à pied avec le procureur.(…)