Jamyang Wangchuck et Sonam Tachi Choden dans Dakini
Ce mercredi 24 octobre sortent sur les écrans français, du moins quelques uns d’entre eux, deux films très beaux films. Découverts dans des grands festivals cette année, ils sont originaires de pays d’Asie qui n’occupent pas souvent l’affiche. L’occasion, aussi, d’observer à la fois comment ils fraient leur chemin jusqu’à nous, et comme il nous est possible de les regarder.
Révélé au Festival de Cannes, La Tendre indifférence du monde n’est pas spécialement tendre, et encore moins indifférent: dans des paysages citant avec humour les tableaux classiques de la peinture française du XIXe siècle, le cinéaste kazakh Adilkhan Yerzhanov met en mouvement une aventure amoureuse, burlesque et brutale.
Les tribulations de la belle et forte Saltanat et du vaillant et généreux Kuandyk tiennent de la chronique de la corruption générale qui affecte la région, autant que du conte des Mille et Une Nuits. Mais c’est surtout un sens du plan et du cadre, une élégance joueuse et ferme à la fois, qui fait de ce film un grand moment de joie pour ses spectateurs.
Révélé au Festival de Berlin, Dakini tisse élégamment enquête policière et magie. Par les forêts, les montagnes, les villages mais aussi les villes modernes du Bhoutan, Dechen Roder compose une quête sensuelle qui met en jeu les contradictions d’une société où tradition mystique et téléphones portables, attachement à la terre, archaïsme et spéculation se combinent –là comme ailleurs, mais là comme ailleurs selon des modalités particulières.
Dakini conte les tribulation de la belle et forte Choden, accusée d’être une sorcière par les villageois parce qu’elle vient d’ailleurs, et de l’opiniâtre et taiseux Kinley, le policier chargé de l’enquête sur la mort d’un abbesse dans laquelle la jeune femme est la suspecte numéro 1.
Le titre du film, qui est aussi le titre que revendique l’héroïne, désigne des femmes ayant atteint un niveau supérieur de spiritualité –qualité qui, au Bhouthan comme ailleurs, n’est plus forcément très bien cotée.
Le film accompagne ainsi du même mouvement quête spirituelle et enquête policière, avec la force d’une évidence, même quand le surnaturel s’en mêle.
Lointains
Scénarios, mises en scène, interprètes, ce sont deux films aussi réussis que singuliers. Si l’un était américain et l’autre espagnol, il ne viendrait pas à l’idée de les rapprocher. Leur provenance, et certains aspects de la séduction qu’ils peuvent susciter ici, appellent pourtant encore quelques mots, qui les concernent tous deux.
Ces films viennent de loin. «Loin» est évidemment une notion éminemment relative, où la distance n’est qu’un paramètre parmi d’autres –nous avons cessé peu à peu de trouver lointains au moins une partie des cinémas japonais, chinois, sud-coréen, les samouraïs, Bruce Lee, les fantômes et succubes locaux y ont contribué.
Encore faudrait-il questionner ce «nous», désignant non seulement nos concitoyens et nos voisins géographiques, mais aussi les «Occidentaux», et leur fâcheuse tendance à se considérer comme le centre du monde et la mesure de toute chose, au cinéma aussi. Dans l’affaire, le «nous» est aussi problématique que le «eux». (…)