La révolution d’octobre 2000 à Belgrade, rappelée dans L’Envers d’une histoire.
Ce mercredi 24 octobre sont sortis en salle trois documentaires aussi différents qu’importants, qui donnent à voir et à comprendre des moments-clés du XXe siècle.
Semaine après semaine, on ne cesse de vérifier les puissances impressionnantes que mobilise la pratique actuelle du documentaire. Ce 24 octobre, trois films relevant de ce domaine mettent au travail, et en lumière, des aspects méconnus de grands événements historiques.
Les formats et les styles sont très différents. Deux d’entre eux sont des fresques: huit heures pour Les Âmes mortes, 3h30 pour Le Rouge et le Gris. Le premier est principalement composé d’entretiens, le deuxième est uniquement construit à partir d’éléments d’archives (images et texte), et le troisième, L’Envers d’une histoire, un siècle yougoslave, s’appuie sur une chronique familiale.
La distance des cinéastes avec l’événement est à chaque fois différente. Mais avec Wang Bing, François Lagarde ou Mila Tuarjlic, il s’agit toujours d’explorer, et autant que possible de comprendre, ce que des êtres humains ont fait dans des situations extrêmes.
Les Âmes mortes
Wang Bing poursuit sa longue quête documentaire sur les tragédies qui ont accompagné les stratégies politiques de la fin des années 1950 et du début des années 1960 en Chine, connues sous l’appellation de Grand Bond en avant.
S’il se concentre sur un moment particulier, appelé «la campagne anti-droitiste» dans le vocabulaire maoïste, qui fit des centaines de milliers de victimes –notamment dans la province en grande partie désertique du Gansu (Nord-Ouest) où étaient situés les principaux camps–, il documente en fait des pratiques qui eurent cours à une échelle encore bien plus vaste.
Monument aux victimes, entreprise de documentation des horreurs du régime, le film au très long cours de l’auteur de Fengming, une femme chinoise se déploie aux confins d’un travail d’historien méticuleux et d’un geste de poète à la fois inspiré et un peu fou, cherchant à faire éprouver des vibrations partageables, par-delà les décennies, les souffrances et les humiliations, les oublis et les interdits.
Le film est principalement composé de témoignages de survivantes et survivants, parfois de leurs proches. On ne peut pas ne pas songer à Shoah de Claude Lanzmann, par l’ampleur du projet de film comme par l’énormité du crime de masse qu’il entreprend d’évoquer, de documenter et d’inscrire dans la conscience collective, à l’échelle de gravité qui est celui du goulag chinois.
L’un des survivants du goulag chinois témoignant dans Les Âmes mortes
La référence est d’autant plus marquée que l’un des procédés mobilisés par Lanzmann réapparaît à l’occasion, la mise en rapport de la parole des personnes qui ont survécu et des lieux, aujourd’hui, où «cela» est jadis advenu.
Cet immense travail de documentation ne compose d’ailleurs qu’une fraction de la recherche menée par le réalisateur depuis quinze ans –d’autres films à partir des centaines d’heures tournées sont annoncés.
Sur l’emplacement d’un ancien camp dans la région du Gansu, Jiabiangou | Extrait de la bande-annonce
Les Âmes mortes est un film d’une importance historique incontestable. Et même si le côté systématique d’aligner les témoignages des survivantes et survivants âgés d’une tragédie qui s’est déroulée voilà soixante ans n’apparaît pas toujours comme la forme la plus dynamique pour rendre partageable les fruits de cette recherche, la présence ici et maintenant de ces visages et de ces voix hantées par la mémoire de toutes celles et ceux qui n’en sont pas revenus demeure d’une indéniable puissance.
Le Rouge et le Gris, Ernst Jünger dans la Grande Guerre
Ce film extraordinaire est l’œuvre d’une vie, et même davantage, puisque son auteur, le photographe François Lagarde, est décédé alors qu’il en terminait le montage.
Bien qu’exact, le titre sous lequel il est distribué ne rend pas justice à la richesse de ce qui est bien plus qu’un film sur la Grande Guerre appuyé sur les écrits d’Ernst Jünger.
Le Rouge et le Gris est en effet composé de milliers de photos, pour l’essentiel prises par des soldats allemands, très nombreux à posséder des appareils photo –à la différence du côté des Alliés, où l’usage des prises de vue a été très rigoureusement contrôlé. (…)