Martin Eden (Luca Marinelli), héros d’hier et de demain.
Le film de Pietro Marcello réinvente le grand livre de Jack London pour une traversée hallucinée et lucide d’un passé porteur des promesses, des menaces et des fantômes du présent.
On croyait avoir tout vu, en matière d’adaptations de livres à l’écran. Mais ça, on ne l’avait jamais vu. Ça, c’est-à-dire un film qui prend à bras-le-corps une grande œuvre de la littérature mondiale et change tout pour lui être admirablement fidèle.
Le livre s’appelle Martin Eden, le film aussi, et son héros également. Le grand roman de Jack London se passait à Oakland, en Californie; le grand film de Pietro Marcello se passe à Naples.
L’écrivain américain racontait une histoire du début d’un XXe siècle encore défini par le XIXe; le cinéaste italien raconte le XXe siècle tout entier, pour mieux comprendre le XXIe.
Et voici donc qu’à nouveau, Martin le marin bagarreur rencontre la jeune et belle jeune fille de la bonne société férue de littérature –Ruth est devenue Elena.
Il croisera le chemin du poète révolté qui sera son ami et son mentor, «ce mourant qui adore la vie dans ses moindres manifestations» qui, lui, se nomme toujours Brissenden.
Mais ce qui dans le livre était un orage de passions personnelles, précisément situé dans une époque et un lieu (quitte à donner des clés pour une vision spécifiquement américaine, sous les auspices ambigus de Herbert Spencer), devient dans le film un typhon aux dimensions du siècle –et d’un monde.
Matelot et figure mythique, dans les soutes de l’histoire. | Via Shellac
Pas de leçons à donner
Composant des scènes comme on tirerait des bords face au grand vent de l’histoire, comme on jetterait par brassées images et récits pour alimenter la grande chaudière d’un navire de haute mer, Pietro Marcello embarque sans ménagement personnages et public, événements réels et imaginaires.
Son film suivra bien le parcours narratif que London avait imaginé pour son personnage: l’apprentissage de la haute culture et le vertige amoureux par-delà les différences de classe, la rencontre avec le poète désespéré, la réussite littéraire et l’effondrement intérieur de l’ancien marin. Mais ce qu’il en fait est bien autre chose qu’une transposition.
Les étapes du chemin de Martin, ce sont ici des situations, des imageries, des mots que nous connaissons.
Ce sont les grands repères d’une épopée sinistre et flamboyante, où passent les formules et les gestes des grandes luttes ouvrières et les fascinations du fascisme. Ce sont les guerres et les défaites, les espoirs trahis et les arrangements avec l’ordre des choses, les heurs et malheurs de l’action collective et l’affirmation de l’individu comme valeur suprême.
C’est la puissance et la gloire, les miroirs aux alouettes médiatiques, les embardées technologiques, l’épique et fatale symphonie du progrès. Marcello et son Martin Eden n’ont aucune leçon à donner, ils ont un âge de l’humanité à évoquer.
Avec sa silhouette de statue romaine, Eden est bien un héros, au sens d’une figure qui concentre à l’extrême des traits de caractère, mais sûrement pas un modèle.
Personnage aux multiples facettes, Martin Eden incarne notamment la promesse et les illusions de l’ascension sociale par la culture. | Via Shellac
Sans quitter d’une semelle son gaillard de matelot devenu écrivain à succès, le cinéaste pave son chemin d’archives, de citations, de souvenirs. C’est Naples, c’est l’Italie, c’est l’Europe, c’est l’Occident. (…)
Gamin, j’ai fait plein de rêves en le lisant , il a participé à ma construction.
Envoyé de mon iPad
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