«Taxi Téhéran»: un huis clos en mouvement, ouvert à l’infini

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Taxi Téhéran de Jafar Panahi. Avec Jafar Panahi, Nasrin Sotoudeh. Durée: 1h22. Sortie le 15 avril

La ville est là, très présente, et pourtant à distance, de l’autre côté du pare-brise. Le regard est fixe, et puis s’anime pour s’élancer dans les rues, puis bientôt bascule, se retourne pour observer l’intérieur du véhicule où s’installent les personnes qui ont fait signe à ce qui est donc un taxi. La caméra a été retournée par une main dont la présence est tout à fait sensible.

Ils sont deux passagers, à l’avant un homme jeune, gouailleur, grande gueule, qui clame avec entrain qu’il faudrait exécuter quelques voleurs d’autoradios pour que la société aille mieux et se révèlera être lui-même un voleur, à l’arrière une dame soigneusement voilée, d’apparence modeste, et qui ne s’en laisse pas conter sur le délire répressif, essaie de répondre pied à pied à l’assurance moqueuse et populiste du premier. Mais il y a (au moins) deux caméras posées sur ce tableau de bord vers l’intérieur de la voiture, l’une regarde les passagers, l’autre le conducteur. C’est Jafar Panahi lui-même – si vous ne le (re)connaissez pas, les passagers, eux, l’identifieront bientôt, et comprendront, entre autres, pourquoi ce chauffeur de taxi connaît si mal les itinéraires.

Jafar Panahi ne conduit pas très bien les voitures, mais il sait assurément conduire un film. Dès la première séquence de ce film qui en comportera neuf (la plupart définies par un nouveau passager du taxi), il installe avec des moyens très simples ce jeu très complexe entre réalité et fiction, et mise en évidence du jeu lui-même, ni pour faire le poseur post-moderne ni pour brouiller les cartes, mais au contraire pour davantage prendre en charge à la fois la réalité de son pays, l’Iran, et la réalité de sa propre situation de cinéaste sous le coup de multiples condamnations. Puisque, depuis 2010, il est condamné à six ans de prison, a interdiction de réaliser des films et de s’exprimer en public, à la suite de son soutien affiché au mouvement «vert», qui a tenté de s’opposer à la réélection frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République en juin 2009. À l’époque arrêté et emprisonné sans ménagement, Panahi vit désormais chez lui, toujours sous la menace que la sentence concernant la prison soit exécutée.

S’il a respecté les interdictions de prendre la parole et de voyager, il a en revanche par trois fois contrevenu à celle de ne pas filmer. Ayant fait l’objet d’un immense mouvement de solidarité de la part de cinéastes du monde entier au moment de son arrestation, Panahi a répondu aux tentatives du régime de le faire taire avec trois réalisations importantes. Dans le huis clos de son appartement téhéranais, «Ceci n’est pas un film» (cosigné avec Mojtaba Mirtahmasb et présenté hors compétition au festival de Cannes 2011) est une passionnante –et souvent très drôle– méditation sur le sens même de faire un film, et ce qui se joue dans ce processus. Deux ans plus tard, «Closed Curtains» (cosigné avec Kambuzia Partovi) poursuivait sur un mode plus abstrait les mêmes interrogations dans une maison au bord de la mer mais coupée du monde.

«Taxi Téhéran» est aussi un huis clos. Mais c’est un huis clos dehors. (…)

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