Les Divas du Taguerabt de Karim Moussaoui. | Les Films Pelléas
Les quatre courts métrages réunis sur grand écran à l’enseigne de La 3e Scène et la vaste reconstitution historique de Cristi Puiu sont autant de petits et gros cailloux sur le chemin des salles.
Tout Simplement Noir est assurément l’événement-phare des sorties de la semaine. Mais le déconfinement progressif des grands écrans n’est pas affaire que de distance entre spectateurs et spectatrices, il se traduit aussi par l’intérêt des films proposés, et se poursuit avec deux autres propositions très dignes d’attention.
Celles qui chantent, quatuor ou quintet?
La question est classique concernant les films composés de plusieurs courts métrages, ici signés, par ordre d’apparition à l’écran, Sergei Loznitsa, Karim Moussaoui, Julie Deliquet et Jafar Panahi: au total, cela fait-il quatre ou cinq films?
Ces réalisations s’inscrivent dans un programme remarquable baptisé «La 3e Scène». Initié par l’Opéra de Paris avec le producteur Philippe Martin (Les Films Pelléas), il propose la mise en ligne de courts métrages ayant un rapport plus ou moins direct avec les mondes de l’opéra, du chant et de la danse. Le succès des Indes galantes version krump réalisé par Clément Cogitore a offert une considérable visibilité à ce programme où figurent également d’autres formidables cinéastes (Mathieu Amalric, Bertrand Bonello, Apichatpong Weerasethakul, Jean-Gabriel Périot…) mais aussi des chorégraphes (William Forsythe), des plasticien·nes (Claude Levêque)…
La réunion de quatre nouveaux titres de la série en un programme destiné à la salle a le mérite de mieux mettre en lumière ce projet, mais déroge à ce qui était en principe sa carte d’identité, l’offre en ligne. Celles qui chantent se compose donc de quatre propositions conçues indépendamment à l’origine, et qui se font écho de manière inégale, et pas toujours convaincante.
La plus singulière de ces propositions, Violetta, est signée de la réalisatrice et surtout metteuse en scène de théâtre (et désormais directrice du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis) Julie Deliquet. On y accompagne alternativement le parcours de la soprano Aleksandra Kurzak interprétant à Bastille La Traviata mise en scène par Benoît Jacquot et le parcours d’une jeune femme (jouée par l’actrice Magaly Godenaire) atteinte d’un cancer dans un service d’oncologie.
Les scènes sont, à l’opéra comme à l’hôpital, d’une grande justesse, et d’une émotion certaine. Pourtant, malgré le point commun de la maladie qui frappe l’héroïne de Verdi comme le personnage de fiction imaginée par la réalisatrice, on peine à percevoir ce qui se jouerait dans leur mise en parallèle.
Trois fois, le surgissement de voix hors normes
Hidden de Jafar Panahi apparaît comme une variation sur les thèmes qu’a brillamment mis en scène le cinéaste iranien notamment dans Trois Visages: doute sur la véracité des messages sur les réseaux sociaux engendrant un jeu entre fiction et «réalité», oppression des femmes empêchées d’exprimer leur talent, jeu du réalisateur avec son propre personnage à l’écran.
Cadrage par le pare-brise, image dans l’image et film dans le film, le dispositif cher à Panahi pour donner accès à l’invisible. | Les Films Pelleas
Ce sont les ingrédients adroitement agencés de ce court métrage situé au Kurdistan iranien. Mais vient le moment, splendide, où cette voix féminine privée de visage s’élève de derrière un rideau, et emporte tout.
Parmi les nombreux et considérables talents du cinéaste ukrainien Sergei Loznitsa figurent son art du montage des documents d’archives. Il en donne une démonstration virtuose, et éclairante, en assemblant les images de présences de personnalités à l’Opéra de Paris dans les années 1950 et 1960.
Du général De Gaulle à Brigitte Bardot, du Shah d’Iran à Nehru, de Bourvil à Kroutchev et de Charlie Chaplin à Houphoüet Boigny, sans oublier d’innombrables têtes couronnées, c’est le bottin mondain d’une époque qui, devant des foules toujours enthousiastes, défile sur les marches de Garnier grâce aux enregistrements des actualités filmées d’alors.
La foule fascinée par le défilé des vedettes et des princesses. | Les Films Pelleas
Une nuit à l’opéra devient ainsi, non sans humour, une interrogation sur ce que fut l’idée du glamour en des temps aujourd’hui révolus –et par contraste aussi sur ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Il est également stimulant de se demander ce que voient du film des personnes appartenant à plusieurs générations, ayant avec ces célébrités majeures d’il y a un demi-siècle des relations variables –ou plus aucune relation.
À nouveau, une grande voix vient transcender de manière sublime ce qui s’est ainsi construit par touches. La voix à jamais sauvage malgré toute la pompe, le lustre et les lustres, de Maria Callas démentant irrévocablement qu’Una voce poco fa.
Mais le plus beau, le plus étrange, le plus à la fois inscrit dans une réalité concrète et ouvert sur un au-delà est le film de Karim Moussaoui, Les Divas du Taguerabt. (…)