« Microbe et Gasoil » fantaisie en roue libre

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Microbe et Gasoil de Michel Gondry, avec Ange Dargent, Théophile Baquet, Audrey Tautou. Durée : 1h43. Sortie le 8 juillet.

Quoiqu’on pense de chacun de ses films en particulier, il y a quelque chose de réjouissant dans la diversité des modes d’approche du cinéma de Michel Gondry. Après le très inventif, attentif et réussi Conversation animée avec Noam Chomsky qui succédait au calamiteux Ecume des jours, revoici le réalisateur reparti sur le chemin d’un scénario original aux confins de plusieurs des thématiques qui lui tiennent à cœur, l’enfance, le bricolage farfelu et le low-tech, le jeu avec le langage.

Il y a en fait deux films dans Microbe et Gasoil. Le premier accompagne la rencontre de deux lycéens, affublés par leurs condisciples des surnoms qui font le titre du film, et qui servent à les ostraciser. Daniel est un blond aux cheveux dans le cou, d’apparence un peu enfantine pour son âge, un peu frêle, que les autres font exprès de prendre pour une fille. Il dessine, il écrit, en plus maintenant il est amoureux. Théo est plus grand, plus mûr, il sait des tas de choses inattendues. C’est aussi un fils de pauvre dans ce lycée chic et réactionnaire de Versailles. Daniel et Théo sont deux originaux dans un environnement scolaire et générationnel très conformiste.

Même si le film est situé aujourd’hui, on en devine sans mal la dimension autobiographique, Gondry a sûrement pas mal ressemblé à Daniel, et vécu certains de ses tourments scolaires et familiaux, avec maman allumée mystico-baba rigoriste angoissée, grand frère punk pas cool et amours enfantines pas vraiment paradisiaques. La succession des scènes tient remarquablement sur le fil entre chronique préadolescente et invention farfelue de situations, réussite qui doit beaucoup à un rapport très singulier aux mots – à plusieurs rapports singuliers, même. La fantaisie fait ici un très joyeux ménage avec une attention précise, documentaire et chaleureuse à la fois, où on retrouve l’œil du réalisateur de Lépine dans le cœur.

Entre deux tribulations familiale, sentimentale ou scolaire, M&G se lancent dans l’ambitieuse entreprise de fabriquer une voiture, assemblage d’un sommier en guise de châssis, de roues de récup, d’un moteur de tondeuse et d’une carrosserie qui, après quelques hypothèses délirantes, prend l’apparence guère plus raisonnable d’une petite maison en bois.

La deuxième partie de Microbe et Gasoil est consacrée au voyage qu’entreprennent les deux garçons, un peu fugue, un peu balade imaginaire, de Versailles au Morvan. La verve s’essouffle un peu, et Gondry entreprend de donner du carburant à son odyssée à coups de situations oniriques, de rebondissements dont l’étrangeté apparaît pour le coup un peu forcée, sans rapport avec l’histoire et ses personnages.

On quitte alors le territoire proche de Be Kind, Rewind de réjouissante mémoire avec ses bidouillages inspirés et généreux, dans un esprit qui est aussi celui de la non moins réjouissante Usine Des Films Amateurs inventée par le réalisateur et qui, après des déboires, va trouver un port d’attache du côté de

Roubaix[1].

Le film se transporte du côté du fantastique assez artificiel qui alourdissait Eternal Sushine of the Spotless Mind et La Science de rêves. Toute l’énergie affectueuse de la première partie ne se perd pas tandis que Microbe et Gasoil font des rencontres improbables, vivent des rebondissements sans queue ni tête, mais disons que ça tend à s’effilocher. Au point que c’est avec un certain soulagement qu’on voit les aventuriers arriver au bout de leur périple, bout qu’on se gardera évidemment de révéler.

Il reste cette intéressante ligne de faille qui traverse le cinéma de Gondry, intéressante parce qu’elle peut être très ténue – c’est le cas ici. Il s’agit du partage, presqu’impossible à définir de manière stable entre invention – poétique, ludique, fantaisiste – à partir et avec le réel, et fabrication ex nihilo, en force, comme acte de pouvoir sur les choses, et sur les esprits des spectateurs, d’artefacts « imaginaires », fabuleux, d’un fantastique relève plus delà revendication du geste du « créateur » que de la transformation du monde tel qu’il est pour le rendre un peu plus vivable. Michel Gondry a choisi de ne pas choisir, c’est bien sûr son droit, mais on peut aussi préférer une approche à l’autre.

 


[1] Créée pour le Centre Pompidou début 2011, L’Usine des Films Amateurs devait être installée de manière pérenne à Aubervilliers, mais un changement de municipalité a détruit le projet au dernier moment. Le dispositif a depuis circulé dans le monde entier, il est attendu en octobre prochain à La Condition publique à Roubaix, dans le cadre de Renaissance 2015 lille3000.

64e Berlinale, jour 4 : deux fragments

Ours Il incombe au chroniqueur de festival de découvrir, ou si besoin d’inventer un fil, aussi ténu soit-il, entre les films rencontrés chaque jour. Confessons ici même que ce texte sera l’aveu d’un échec à identifier le moindre rapprochement entre les réalisations vues ce dimanche. L’auteur a certainement sa part dans cet échec, mais il faut dire que la programmation, incroyablement dispersée, complique singulièrement la tâche. A défaut du moindre lien, voici donc quelques notes sur deux films ayant du moins retenu l’attention (on n’a cure ici de mentionner tout ce qu’on a vu, beaucoup ayant tout à gagner à un oubli bienveillant).

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Singulier, gonflé, coloré, amusant et ambitieux : ainsi se révèle le nouveau film de Michel Gondry, Is the Man Who Is Tall Happy ? Michel Gondry a rencontré Noam Chomsky au MIT, il s’est longuement entretenu avec lui, de sa vie, de sa recherche en linguistique, de ses engagements politiques, de ses idées sur l’existence. Chomsky parle avec modestie et précision, son savoir et la rigueur de ses prises de position, qui ont fait de lui une conscience des Etats-Unis (et l’ont à l’occasion envoyé en prison), donnent au film sa structure, malgré le caractère un peu décousu de la conversation avec le réalisateur. Mais celui-ci ne s’est pas content d’enregistrer le chercheur, il a entrepris la fabrication artisanale d’un dessin animé inventant avec un apparente naïveté et beaucoup de finesse et d’empathie des traductions formelles, visuelles et aussi sonores, à ce que dit Chomsky parlant de grammaire générative, des crimes contre l’humanité commis par les Américains ou de sa famille. Pari cinématographique assez fou, et pour l’essentiel gagné, qui cherche à coups de feutres bleus, verts et rouges, de lignes sautillantes et de petits personnages facétieux la traductions pour les yeux des faits, des idées et des sentiments énoncées par l’auteur du Langage et la pensée. Il y a quelque chose de très affectueux de la part de Gondry à l’égard de Chomsky, et de très confiant dans le cinéma, même comme ici littéralement « fait à la main », pour accompagner une vie, une pensée, une recherche et un combat, qui rendent toute l’affaire éminemment sympathiques, et parfois passionnante.

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Autre rencontre intrigante autant qu’imprévue, avec un film irlandais titré Calvary, deuxième long métrage de John Michael McDonagh. Le film raconte une semaine de la vie d’un prêtre irlandais dans un petit village côtier, semaine qui s’ouvre dans le confessionnal où un homme qu’on ne verra pas annonce au père Lavelle qu’il va le tuer en représailles de viols commis autrefois par un curé aujourd’hui disparu. McDonagh ne lésine pas sur les simplifications dans sa manière de dessiner les personnages, ni sur les artifices visuels, à commencer par les images touristiques des beautés des falaises et des plages irlandaises. Pourtant, quelque chose de trouble et d’intense bout au cœur de cette construction à l’emporte-pièce, où les plans évoquent trop souvent de l’imagerie de téléfilm. Une noirceur, une détresse, une absence de compromission travaillent le film et petit à petit font de Calvary un film de guerre – guerre des humains contre eux-mêmes dès lors qu’il sont perdu le sens du vivre ensemble, enfermés dans une série de postures antagonistes, et qui toutes fabriquent du malheur.

Au détour d’un chemin, le nom de Bernanos est prononcé, et de fait c’est bien une lointaine dérive du Journal d’un curé de campagne qui est ici proposée, non sans audace, et non sans pugnacité. Malgré les jeux d’acteurs appuyés et les images illustratives, une angoisse réelle et juste perce dans le film, film qui aura l’honnêteté de ne pas faillir à la sombre vision du monde qu’il a mis en place.