«Cuban Network»: infiltration à Miami et à Hollywood

René González (Édgar Ramírez), pilote, espion, mari, héros. | Memento Films

Le film d’Olivier Assayas fond en un même mouvement récit d’une authentique et extraordinaire histoire d’espionnage, codes du film d’aventure et critique des modèles dominants de narration.

Avion volé, traversée de la mer à la nage, exploits physiques, gestes téméraires –c’est l’aventure, tout de suite. Un film avec des héroïnes et des héros belles et beaux comme des stars de cinéma (normal, ils sont interprétés par des stars de cinéma), des trahisons, des affrontements de l’ombre.

Une famille abandonnée, un mariage luxueux, des dialogues à double et triple fonds, grands sentiments et virtuosité de récit, humour et énergie: pas de doute, Cuban Network s’inscrit d’emblée avec brio dans le genre du film d’espionnage de haut vol, où le panneau indicateur à l’entrée («d’après une histoire vraie») valide le romanesque échevelé de ce qui va suivre.

Mais si le nouveau film d’Olivier Assayas s’appuie scrupuleusement sur des faits réels[1], et s’il est bien en effet du même mouvement un thriller d’espionnage à rebondissements, il est encore davantage: une sorte d’opération commando clandestine au sein du cinéma de fiction.

Parfaitement authentique est l’histoire de ces cinq espions cubains installés à Miami au début des années 1990 pour infiltrer les réseaux anticastristes multipliant les actions de déstabilisation du régime de La Havane, y compris sous forme d’attentats meurtriers dans des hôtels.

Authentique le jeu dangereux et retors où CIA et FBI jouent leur partitions à plusieurs voix, et authentiques les histoires amoureuses à fronts renversés, ici exemplairement matrimoniales et familiales, là transgressive, médiatique et perverse. On peut faire confiance au cinéaste de Carlos pour associer précision de la reconstitution des faits et souffle épique, d’autant mieux qu’il retrouve pour le rôle principal le même interprète en tous points remarquable, Édgar Ramírez.

Un léger twist

Mais il y a un «mais». Les espions pleins d’habileté (véridique) et de charme (dans le film) sont des agents cubains. Au cinéma, depuis une nuit des temps qui remonte à bien avant la chute du Mur, les gentils, c’est les États-uniens et leurs alliés, les méchants c’est les autres, point final.

Ce léger twist induit une étrangeté qui n’est pas tant politique au sens primaire (le film n’est nullement un éloge du régime castriste) que dramatique –ce qui est en fait bien plus politique, mais d’une autre façon.

Sous couvert de film de genre, couverture dont il respecte impeccablement les enjeux spectaculaires et émotionnels, Olivier Assayas déploie une mise en question de la façon dont les histoires sont racontées et perçues.

Près d’une plage de Floride, le maître espion (Gael García Bernal) et l’épouse modèle (Penélope Cruz). | Memento Films

Dans cette histoire d’hommes, le rôle des deux femmes, interprétées par Penélope Cruz et Ana de Armas, est à ce titre passionnant, par la manière –qui peut être très brutale– dont elles ont à prendre en charge les modèles de représentation (idéologique, familiaux, de société) auxquels, comme tout le monde, elles se réfèrent dans leur existence.

Ces déplacements du regard et de l’écoute élèvent à un degré supérieur les ruses et jeux de masque auxquels se livrent, chacun à sa façon, les protagonistes et le réalisateur. (…)

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Jacqueline Meppiel, le montage comme art de combat

Jacqueline Meppiel avec Gabriel Garcia Marquez et les élèves africains de la première promotion de l’EICTV en 1987

Profession: monteuse de films. Ce fut longtemps son métier, ce qui ne dit pas tout, loin s’en faut, du rôle important qu’elle a joué dans le cinéma français des années 60, 70 et 80. Car monteuse, pour elle, ne signifiait pas une activité technique mais un mode de pensée en actes, une façon de réfléchir à la fois avec la tête et avec les mains. De Jean-Pierre Melville (Léon Morin Prêtre, 1961) à Coline Serreau (Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux !, 1982), très nombreux sont les cinéastes aux côtés de qui elle aura déployé une énergie rieuse et exigeante, qui laissait une marque indélébile chez tous ceux qui avaient la chance de rencontrer cette grande et belle femme.

Cette pensée et cette énergie furent toute sa vie inséparable de ses engagements. En 1963, elle est avec Yann Le Masson qui réalise Sucre amer sur l’élection truquée de Michel Debré à la Réunion. Puis elle joue un rôle important dans l’accomplissement de  Loin du Vietnam (1967), film collectif à l’initiative de Chris Marker, signe majeur de cette époque. En 1969, elle accompagne William Klein pour la réalisation du Festival Panafricain d’Alger, repère lui aussi décisif au sein d’une autre histoire, celle du tiers-mondisme (et aussi de la musique, grâce notamment à la présence d’Archie Shepp). Elle participe à de nombreux documentaires, dont Angela Davis : Portrait of a Revolutionary (Yolande DuLuart, 1972), rencontre Med Hondo qu’elle accompagne sur Bicots nègres, nos voisins (1974) puis dans la réalisation, pour le Front Polisario, de Nous aurons toute la mort pour dormir (1977). Chris Marker la met en relation avec le sociologue Armand Mattelart, ensemble et avec Valérie Mayoux, ils réalisent La Spirale (1976), analyse économico-politique du processus qui a mené au coup d’Etat chilien et à l’assassinat d’Allende. Le film reste aujourd’hui exemplaire des puissances d’intelligence du réel par le cinéma.

Ce sont le même engagement et la même passion qui la mènent d’abord en Angola à peine libéré des Portugais, à la demande du grand ingénieur du son Antoine Bonfanti, pour assurer la formation de futurs réalisateurs et techniciens, puis à Cuba au début des années 80.  Elle crée le département « montage » de l’Ecole internationale de cinéma et de télévision, inaugurée en 1985 à l’initiative de Gabriel Garcia Marquez, et connue comme « l’école de San Antonio de los Baños », qui formera des générations de réalisateurs venus de tout le continent latino-américain. Mariée à l’acteur Adolfo Llaurado (1940-2001), une des grandes vedettes du cinéma cubain, Jacqueline Meppiel a enseigné à l’EICTV jusqu’à ce que la maladie l’en empêche. Elle est morte du cancer des poumons le 9 novembre, elle avait 83 ans.