À voir au cinéma: «Un médecin pour la paix», «Simón de la montaña»

Le docteur Izzeldin Abuelaish montre à la presse les photos de son appartement, où ses trois filles et sa nièce ont été assassinées par Tsahal pendant qu’il opérait dans un hôpital israélien.

Le film de Tal Barda fait résonner une tragédie précise avec l’atroce catastrophe collective en cours dans la bande de Gaza. Celui de Federico Luis explore avec finesse, humour et énergie les signes de la différence et les assignations identitaires.

Ces deux films qui sortent sur les écrans ce mercredi 23 avril sont habités de rapports à la réalité si différents qu’il peut sembler absurde, ou même obscène, de les mentionner côte à côte.

L’histoire du médecin palestinien plaidant obstinément pour la paix alors qu’un déluge de feu s’abat continuellement sur son pays est, formellement, un document basique, qui aurait a priori davantage sa place à la télévision (où il faut souhaiter, sans trop y croire, qu’il sera aussi diffusé), mais qui prend une dimension de tragédie mythologique et de film d’horreur au regard de ce qui se passe en ce moment même dans la bande de Gaza.

Le film de Federico Luis travaille entre documentaire et fiction, avec une générosité subtile et attentive, romanesque et joyeuse. Il entrebâille tout un éventail de perceptions de différences entre les humains, où la notion de handicap mental est sans cesse reconfigurée par le projet même de la réalisation et sa mise en œuvre aux multiples tonalités.

Incomparables par leur sujet comme par les moyens de cinéma mobilisés, ces deux films participent ensemble à la multiplicité des rapports au réel que nous habitons, que l’on accepte ou pas d’y porter attention.

Et ils se trouvent témoigner de cette épaisseur de la réalité, laquelle comporte encore bien d’autres éléments –infiniment hétérogènes– et qui fabriquent nos quotidiens, singulier pour chacun·e. L’une et l’autre exceptionnelle, ô combien différemment, les deux situations auxquelles renvoient ces deux films sont aussi, un peu, beaucoup, des incitations à avoir affaire au monde sans se laisser enfermer ni dans l’obsession ni dans le déni.

«Un médecin pour la paix», de Tal Barda

Il se peut que, d’abord, ce qui advient à l’écran paraisse dérisoire, à l’échelle du génocide en cours dans la bande de Gaza, où l’armée israélienne massacre méthodiquement des civils par familles entières depuis des mois, pendant que les médias français rivalisent de formules alambiquées qui sont autant d’infamies. Dérisoire? Peut-être. Et pourtant nécessaire.

Il y a ce qui est arrivé, l’histoire du docteur Izzeldin Abuelaish, médecin palestinien ayant, malgré les innombrables violences et injustices commises par les Israéliens contre les Palestiniens depuis des décennies, continué tant qu’il a pu d’essayer d’incarner une autre voie que la haine.

Cette histoire est racontée et documentée par le film de la réalisatrice franco-américaine Tal Barda, née et ayant grandi en Israël. Cette histoire est connue, elle fait l’objet d’un livre, Je ne haïrai point – Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix, dans lequel on apprend qu’Izzeldin Abuelaish, enfant d’un camp de réfugiés palestiniens devenu médecin obstétricien, travailla dans un hôpital israélien jusqu’au jour de 2009, lorsqu’un tank de Tsahal tira sur son domicile, tuant trois de ses filles et une nièce.

De cette douleur, le Dr Abuelaish, qui a depuis émigré au Canada avec ses enfants survivants, a opiniâtrement essayé de faire une force de paix, de dépassement de la haine, tout en cherchant en vain à faire reconnaître par les autorités israéliennes leur responsabilité dans ces meurtres. L’ensemble de son parcours lui a valu de nombreuses marques de reconnaissance dans le monde, ainsi que cinq propositions inabouties pour le prix Nobel de la paix. Archives et témoignages accompagnent le récit de son parcours tragique.

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Et puis il y a le film. C’est-à-dire, en plus de tous ces éléments factuels, ce que les images et les sons rendent sensibles, les lieux, les lumières, la vibration des voix, la matérialité des traces.

Il y a l’épisode incroyable du journaliste israélien Shlomi Eldar, qui est à l’antenne lorsque le médecin l’appelle immédiatement après le tir et qui fait entendre en direct aux téléspectateurs la douleur d’un père qui découvre l’assassinat de ses trois filles et de sa nièce par des militaires arborant l’étoile de David. Il y a aussi le feuilleton des multiples mensonges des autorités israéliennes pour refuser de reconnaitre ce crime-là, comme tous les autres.

Mayar, Aya et Bessan, trois adolescentes à la plage, quelques semaines avant leur assassinat. | Destiny Films

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Mais le film, c’est aussi désormais le vertigineux effet de la contemporanéité de sa sortie et de l’absolue violence de ce qui est en cours en ce moment. Depuis le début de la guerre d’extermination actuelle, vingt-deux membres de la famille d’Izzeldin Abuelaish ont été tués. Leurs noms et leurs photos –des enfants et des jeunes filles pour la plupart– apparaissent à la fin de Un médecin pour la paix. En haut de l’affiche du film, il est écrit: «Sur les chemins de l’espoir à Gaza». Mais ces chemins, jonchés de cadavres, sont aujourd’hui ensevelis sous les ruines.

Dès lors, il reste l’interrogation sur le sens même de sortir encore des films évoquant la situation dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Depuis octobre 2023, ils sont nombreux à avoir atteint les grands écrans en France: Yallah Gaza, No Other Land, Voyage à Gaza, Vers un pays inconnu, From Ground Zero, Songe… Mais outre les multiples débats et rencontres que ces séances suscitent, la violence extrême déployée contre des personnes liées à ces films est une paradoxale confirmation que ce que peut le cinéma, aussi limité cela soit-il, existe quand même.

Après l’agression brutale par des colons juifs d’un des réalisateurs palestiniens de No Other Land, juste après avoir reçu l’Oscar du meilleur documentaire, l’assassinat par Tsahal de la photojournaliste Fatima Hassouna et de dix membres de sa famille, aussitôt après l’annonce de la projection du film qui lui est consacré au Festival de Cannes, semble indiquer que la présence obstinée d’évocations à l’écran des horreurs en cours n’indiffère pas à ceux qui les commettent. C’est horriblement peu, ce n’est pas rien.

Un médecin pour la paix
De Tal Barda
Avec Izzeldin Abuelaish
Durée: 1h32
Sortie le 23 avril 2025

«Simón de la montaña», de Federico Luis

Ils sont à flanc de montagne, escaladent un sommet vertigineusement aride et rocailleux. C’est un groupe de jeunes gens dans le brouillard et le vent qui se lèvent. Il n’y a plus de réseau pour appeler à l’aide quand il apparaît qu’ils sont perdus. Ils sont inquiets mais pas paniqués, ils réagissent de diverses manières. Dans le groupe, certains ont des comportements un peu étranges, mais pas tant que cela.(…)

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«En nous», «Fils de Garches», «Le Dernier Témoignage», vertus du «que sont-ils devenus?»

Cadiatou, ancienne lycéenne des quartiers Nord de Marseille, qui pas à pas construit sa vie.

Trois documentaires regardent et écoutent des personnes ô combien diverses, à la lumière de ce qu’elles furent et de ce qu’elles firent. Le cinéma apparaît comme un incomparable outil pour comprendre le présent grâce aux trajets accomplis.

En nous de Régis Sauder

Elles et ils sont dix. Ils auront bientôt 30 ans. Il y a onze ans, ils étaient les personnages du documentaire Nous, princesses de Clèves, tourné dans un lycée des quartiers nord de Marseille où, en réaction à une provocation de haine sociale de Sarkozy, leur professeure leur faisait étudier le roman de Madame de Lafayette. À partir de cette situation, le film de 2011 ouvrait de multiples perspectives, collectives et individuelles.

Aussi banal et évident soit-il, le génie naturel du cinéma de pouvoir mettre en regard des états d’une même personne à une décennie d’écart garde tous ses pouvoirs de suggestion, d’étonnement, parfois de dramatisation et d’humour.

En retrouvant aujourd’hui dix des élèves qu’il avait alors filmé·es, et en réutilisant des séquences du premier film, Régis Sauder active ces ressources, et c’est une cascade de contrastes, de surprises, de signes multiples, innombrables déplacements voulus ou subis.

Le montage entre les deux époques devient une aventure, un écheveau d’aventures, celles de vies chacune singulière. Le réemploi d’images du premier film fonctionne comme un révélateur –et rend le nouveau parfaitement clair à qui n’aurait pas vu celui de 2011.

Ensemble, ces vies et les manières dont elles sont évoquées racontent énormément de l’état de la France actuelle. Mais jamais la généralité ne prend le pas sur tout ce qui considère chacune et chacun pour son parcours propre, et ce qu’il ou elle peut, ou veut en dire. Les gestes, les vêtements, les environnements aussi racontent, implicitement.

Ils et elles sont dix. Armelle, Cadiatou, Laura, Abdou, Sarah, Albert… Dix plus une, Emmanuelle, qui était leur prof à l’époque du premier film. Elle enseigne toujours le français dans le même lycée des quartiers nord. Malgré les conditions de pire en pire, elle tient encore non seulement son poste, mais son discours d’espoir et de résistance contre l’empilement des soi-disant fatalités qui condamnent et qui oppressent.

En pointillés, elle fait le lien elle aussi entre naguère et maintenant, elle est la continuité souterraine quand chacun des personnages principaux du récit donne accès à ce que son parcours a d’unique.

Unique et pourtant, représentatif. Ainsi de cette récurrence des tentatives de travailler dans le monde du soin et de s’approcher du service public, pour en expérimenter la souffrance au travail dans des conditions qui constamment se dégradent.

Mais précisément, dans En nous, ce n’est plus un discours, ce sont des expériences, racontées avec émotion, et souvent humour. Et la composition générale du film, trouvant sa dynamique dans l’agencement des situations individuelles et des contextes, permet une circulation vivante, une mobilité du regard aussi chez les spectateurs.

Albert, qui revendique des choix personnels parfois difficiles, mais où il s’est affirmé. | Shellac Distribution

Le titre incite au rapprochement avec le formidable documentaire d’Alice Diop, Nous, sorti il y a un peu plus d’un mois. Les contextes et les partis pris de réalisation sont différents, mais les deux films ont en commun de déjouer les simplifications et les slogans.

Comme sa consœur en banlieue parisienne, Régis Sauder construit, à Marseille, à Lausanne, à Malte, à Lyon, à Paris (là où sont aujourd’hui ses personnages) une circulation qui ouvre à ce que Victor Segalen appelait «le sentiment que nous avons du divers».

Non pas «la diversité» comme collection de situations faisant statistique, mais comme capacité de circuler et d’être affecté par des façons d’être au monde, de le percevoir, de le transformer même de manière infinitésimale. À ce titre, En nous est un voyage, un beau voyage dans le cosmos des vies multiples dont ses quelques protagonistes éclairent l’immensité des possibilités.

Fils de Garches de Rémi Gendarme-Cerquetti

Rémi Gendarme-Cerquetti (à gauche) filme Sophie Pichot, une autre des anciennes de l’hôpital de Garches. | The Kingdom

Garches est une commune des Hauts-de-Seine, dans la banlieue ouest de Paris. Il s’y trouve l’hôpital Raymond-Poincaré, qui fut longtemps le seul en France à accueillir les personnes ayant des handicaps invalidants très lourds, notamment les enfants, et reste un des principaux centres de traitement de ces pathologies.

Rémi Gendarme-Cerquetti est cinéaste. Il est, aussi, un ancien patient de cet hôpital, et il est toujours en fauteuil, avec des capacités de mobilité très réduites. Son film est l’exploration, à partir de ce qu’a été et de ce qu’est cette institution, mais surtout à partir des témoignages de quelques-uns des patients et des soignants, de multiples manières d’être des humains quand des circonstances, à la naissance ou ensuite, ont très massivement réduit un certain nombre de facultés physiques.

Ils et elles ont été traités, enfants, pour des malformations et des dysfonctionnements, et ont affronté à la fois la souffrance et la peur, les angoisses de leurs parents, des pronostics médicaux en forme de condamnation sans appel. (…)

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«Médecin de nuit» et «Sound of Metal» passent les bornes

Vincent Macaigne dans Médecin de nuit, thriller qui ne se laisse pas enfermer dans les règles du genre.

Le film noir d’Elie Wajeman aux côtés d’un toubib en maraude dans la nuit parisienne et l’histoire du musicien de hard rock confronté à la surdité filmée par Darius Marder laissent ouvertes les portes d’un cinéma inventif.

Parmi les sorties de ce mercredi 16 juin, deux films peuvent être rapprochés, pour des raisons superficielles, et d’autres autrement significatives.

Médecin de nuit d’Elie Wajeman et Sound of Metal de Darius Marder ont en commun de plonger dans un univers très contemporain peuplé de personnes en proie à des souffrances, et d’en faire à chaque fois une sorte de thriller. Ce peut être une coïncidence, ou le signe, pas très probant, des pourtant bien réels multiples malaises du monde actuel.

Mais ce qu’ils partagent de plus intéressant tient à ce qu’ils relèvent l’un et l’autre d’un genre, ou d’un sous-genre, dont ils réussissent à conserver les ressources propres sans s’y laisser enfermer.

Film d’action resserré en une seule nuit autour d’une figure qui a beaucoup servi au cinéma, le médecin confronté aux malheurs et aux vilénies du monde, ou portrait tendu d’un type combatif et fier faisant face au handicap sont deux schémas de scénario qui ne brillent pas par leur originalité.

La manière dont les réalisateurs, qui sont aussi dans chaque cas coscénariste du film, s’appuient sur les repères dramatiques existants et des interprétations de haute volée, pour ouvrir grand leur film à une complexité, à une incertitude, à des énergies qui n’ont rien d’univoques, signe la réussite du film français comme du film américain.

«Médecin de nuit»

D’un bout à l’autre de la nuit, d’une zone à l’autre du Paris de ceux qui vont mal –solitude, dépression, drogue et autres pathologies recensées par le Vidal– Mikaël circule au volant de sa voiture. Il n’arrête pas, d’appel en appel, de patient en patient, d’épouse en maîtresse, de sauvetage en combine, de naufragé en menace.

 

Ensemble, Elie Wajeman à la réalisation et Vincent Macaigne dans le rôle-titre composent et recomposent à toute vitesse les assemblages des multiples facettes de ce médecin qui est aussi à sa manière un malade. Malade de ça: être médecin de nuit, forme d’addiction qui peut s’avérer dangereuse, vertige où se fondent narcissisme du sauveteur et fantasme de l’aventurier, goût des marges et compétence efficace, pulsions érotiques, mégalomanie et compassion.

Sans jamais en rajouter, Macaigne à son meilleur fait circuler tous ces affects, toutes ses motivations avec une impressionnante puissance de suggestion, au cours de ces maraudes qui sont aussi l’occasion de rencontres impressionnantes, émouvantes, poétiques.

Au risque des rencontres

La mécanique du thriller autour d’un trafic de Subutex et des périls que font planer les gangsters qui le supervisent, le dilemme affectif entre les deux femmes qui incarnent pour Mikaël deux promesses d’existence contradictoires, les multiples brèves rencontres avec les naufragés des HLM et les épaves des trottoirs s’agencent et se réagencent pour offrir une plongée dans un monde très réel, très proche, et travaillé de l’intérieur par des ressorts fictionnels qui servent à mieux dire la vérité.

On se doute que réalisateur et acteur ont suivi des véritables médecins de nuit, pris connaissance des procédures, observé un grand nombre de situations et de gestes techniques.

On voit qu’ils cherchent constamment à tenir ensemble une version idéalisée, romanesque, du personnage du médecin de nuit et une version réaliste, quotidienne, de ce que font effectivement toutes les nuits les praticien·nes qui assument ces tâches, à Paris comme plus ou moins partout dans les grandes villes d’Europe de l’Ouest.

 

Sonia (Sara Giraudeau) et Mikaël (Vincent Macaigne) face aux lendemains incertains. | Diaphana

Pour tenir cette ligne à haute tension mais disponible aux aléas des rencontres, des apartés, des bifurcations, il faut une foi absolue dans les puissances du cinéma.

Il faut croire sans réserve dans sa capacité à faire vivre ensemble ces dimensions, sur toute la gamme de la fiction et du réalisme, en laissant de l’espace à chacun –à chaque spectateur– pour s’y frayer aussi son propre chemin, avoir ses propres impressions et opinions sur les agissements des uns et des autres.

À ces qualités s’en ajoute une autre, qui réinsuffle d’autres courants, d’autres vibrations à l’intérieur de ce film si habité: la présence des deux personnages féminins, et ce que font les deux actrices qui les incarnent.

Sara Giraudeau, toute en finesse intense où se mêlent force et fragilité, et Sarah Le Picard, impressionnante de fermeté charnelle et intelligente, déplacent par leur jeu plus encore que par leur rôle le centre de gravité du film, ou plutôt le démultiplient, de la plus réjouissante façon.

«Sound of Metal»

Corps tatoué, muscles bandés, regard halluciné, Ruben cogne «comme un sourd», selon l’expression en usage dans la langue française. Il est là pour ça, batteur du groupe de heavy metal qu’il forme avec sa compagne Lou, chanteuse et guitariste, avec qui il sillonne les routes secondaires des États-Unis dans la caravane qui leur sert de foyer, de refuge, d’un concert à l’autre. Un soir, Ruben entend mal. Le lendemain c’est pire. Le diagnostic du médecin est un couperet. (…)

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Le vital excès de vitesse de «Don’t Worry He Won’t Get Far on Foot»

Inspiré de la biographie d’un dessinateur ayant surmonté de terribles épreuves, le film de Gus Van Sant déclenche une explosion d’énergie, grâce à la vigueur et à la liberté de sa mise en scène.

Ne vous inquiétez pas, donc. Au début, on voit ceci, et puis cela, et encore autre chose. Pas terrible, mais ça va venir.

On voit un type assez antipathique qui fonce dans les rues d’une banlieue américaine proprette en fauteuil roulant. On voit des réunions d’alcooliques anonymes. On voit le même type, avant, qui se biture éperdument. Son copain ivrogne aussi. L’Amérique provinciale classe moyenne, hideuse et satisfaite d’elle-même.

On perçoit que le personnage central du film a existé, qu’il est (un peu) célèbre. Il s’appelle John Callahan.

Pas la peine de savoir que ledit Callahan est devenu au début des années 1980 un cartoonist renommé, publiant ses dessins d’humour caustique dans de prestigieux médias, après avoir traversé les événements montrés par le film –alcool, accident grave, paralysie, réhabilitation, rencontre avec un gourou farfelu, histoire d’amour et succès paradoxal, avant le retour de la tragédie (le sida).

Parce que Gus Van Sant

Franchement, en principe, on devrait s’en ficher de cette affaire. Mais pas du tout. Parce que Gus Van Sant.

C’est-à-dire, ici, parce qu’une confiance absolue d’un cinéaste dans les ressources du jeu d’acteur, dans l’expressivité du mouvement, dans les effets des changements de tonalités. Parti pour aligner des situations conventionnelles, vues cent fois dans des films (surtout américains), Van Sant s’invente une place de conteur-filmeur tout à fait singulière.

Il ne déplace pas les règles du jeu comme il l’avait fait pour Elephant, ce qui lui a valu une très légitime Palme d’or. Il n’en invente pas de nouvelles comme dans Gerry. Il n’entre pas dans une connivence intime avec ses protagonistes comme dans Paranoid Park. Il ne transforme pas un épisode réel concernant une célébrité en conte métaphysique comme dans Last Days ni en manifeste comme dans Harvey Milk.

Non, il se «contente» d’accompagner au plus près la multitude de trajectoires qui sont la matière de ce récit, de parier sur la possible composition de niveaux et d’enjeux différents, avec l’idée d’une somme –très– supérieure aux éléments qui la composent. (…)

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