Les paisibles habitants de Bacurau, dont les figures mémorables de Domingas (Sônia Braga, au centre) et Teresa (Barbara Colen, à droite) confrontés aux violences du local et du global.
Sensation du dernier Festival de Cannes, le film de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles s’inspire du western et des grandes peintures murales pour une fable chaleureuse et tonique.
Comme c’est bien, le cinéma! On s’en souvient tout de suite, dès les premières images. Pourtant il ne s’est encore rien passé. Un homme et une femme à l’avant d’un camion, les paysages désertiques dans le nord du Brésil, les bruits, des violences évoquées à mots couvert. Et déjà c’est là.
L’espace et le mouvement, des corps et des histoires, la sensualité et la mort. La femme revient dans son village, au cœur d’une région mise en coupe réglée par les grands propriétaires du coin.
Il y aura des funérailles. Il y aura la fête. Il y aura la guerre. Il y aura des êtres à demi-mythiques sortis du passé et des songes, et des assassins venus du nord –pas le même nord. La musique.
Bacurau est au cinéma ce que sont les grandes fresques, ces murales qui, bien au-delà de Diego Rivera, chantent en couleurs et amples formes partout en Amérique latine les récits épiques des peuples de tout un continent.
Énergie et sensualité
Il y a ce souffle, cette sensualité, cette explosion d’énergie qui, ailleurs, vibrent sur les murs. Mais sur l’écran, elles sont bien d’aujourd’hui en même temps que saturées de présences mythologiques et historiques.
Avec une énergie à la fois furieuse et tendre, amusée souvent, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles entraînent dans une sarabande endiablée, dont on voit bien à quelles sources elle emprunte.
Le Manifeste anthropophage et ses suites, mais surtout le lyrisme de «l’Esthétique de la faim» de Glauber Rocha, et tout particulièrement l’incandescence de ce sommet du cinéma novo des années 1960 que fut Antonio das Mortes bouillonnent à Bacurau. Mais ce village qui a soudain disparu de Google Maps se situe bien dans le monde d’aujourd’hui, celui des réseaux sociaux et de Bolsonaro.
Le gouvernement de celui-ci a d’ailleurs entrepris des représailles contre les salles qui montrent le film, que son Prix du jury à Cannes n’aura pas suffi à protéger de la vindicte des autorités.
Lunga (Silvero Pereira), variation post-moderne et ambiguë du bandit d’honneur brésilien.
On connaissait Kleber Mendonça pour ses deux précédents longs-métrages, Les Bruits de Recife et Aquarius. C’est peu dire que l’arrivée à ses côtés comme coréalisateur de Juliano Dornelles (qui était le décorateur de ces deux films) entraîne un changement d’échelle –en fait, leur travail commun sur ce projet a commencé il y a dix ans. À des films urbains, composés sur des détails et une histoire personnelle, succède une œuvre cosmique.
Une utopie et des armes
Cette bourgade perdue dans le Pernambouc qui donne son titre au film était un lieu, utopie comme le Brésil en a hébergé plus d’une, où régnait une vie collective attentive au bien commun et à la liberté de chacune et chacun. (…)