Dans De la conquête, le quotidien actuel de l’Algérie en contrepoint des textes racontant la violence de la rapine coloniale.
D’un siècle à l’autre, d’un continent à l’autre, le film de Franssou Prenant et celui de Vladimir Perišić inventent leur langage de cinéma, film de montage ou fiction familiale, pour dire comment des pays sont détruits.
Parmi les nouveautés sur grand écran cette semaine du 11 octobre, deux films trouvent leur écriture cinématographique propre pour évoquer des événements historiques majeurs.L’apparente distance, dans le temps et dans l’espace, de ces événements qui ont chacun pour enjeu la destruction d’un pays –l’Algérie par la colonisation française, la Yougoslavie par le poids des mutations politiques européennes– ne réduit en rien ni l’émotion ni l’intérêt très actuel qu’engendre chacune de ces réalisations.
«De la conquête» de Franssou Prenant

Vue contemporaine d’Alger, lointaine conséquence des crimes du début du XIXe siècle. | La Traverse
À l’écran apparaît d’abord un texte, signé «Le Roi» (il s’agit de Charles X) et qui sert de point de départ à la conquête de l’Algérie par l’armée française en 1830. Puis le traité, signé «sur l’honneur» par le général en chef de cette armée avec le dey d’Alger, et dont tous les articles seront aussitôt bafoués.
Ensuite les voix, de multiples voix, toutes masculines. Elles disent des textes de l’époque, des rapports militaires, des courriers d’officiers et d’hommes de troupes, des actes judiciaires, des commentaires de journalistes et d’intellectuels (Hugo, Renan, Tocqueville, Michelet…) et, de loin en loin, quelques dirigeants arabes, dont l’émir Abdelkader.
Elles décrivent méthodiquement les massacres de civils, le ravage méthodique des villes, la veulerie, la cruauté et l’avidité des conquérants. La glorieuse destruction d’une société. La plupart revendiquent cette succession d’atrocités commises par des Français fiers de l’être, avec exaltation dans la réussite si complète de l’écrasement d’un peuple et du vol de son pays, de son histoire et de sa culture.
Occasionnellement, quelques-unes de ces voix s’inquiètent de la contradiction entre le fait de se prétendre les civilisés face aux barbares, tout en commettant tous les crimes que d’ordinaire les civilisés imputent aux barbares. Une ou deux s’indignent, expriment un écœurement, pas beaucoup.
Ainsi va, sur la bande-son et uniquement avec des textes d’époque, le récit de l’ampleur incommensurable des crimes, des trahisons, des massacres et destructions commises très officiellement par la France. Et c’est foudroyant. Même si on sait, ou croit savoir.
Les voix et les images
Mais ce n’est pas le film. Le film, ce sont ces textes, ces mots dits de multiples voix à la prononciation volontairement neutre, et les images. Les images d’abord du port d’Alger aujourd’hui, par où arrivèrent les navires de l’envahisseur, et où pénètre lentement un ferry. Paisible? Menaçant? Et puis les quais, bientôt les rues, une place, des gens qui discutent, un café, un marché, des enfants qui jouent.
Aujourd’hui, donc. Mais cet aujourd’hui-là est clairement un temps long, ces images anodines, quotidiennes, ont pour certaines été tournées très récemment, d’autres il y a peut-être dix, ou quarante ans.
C’est bien l’Algérie, après la capitale des routes, des villages, la campagne, le désert, toujours avec une présence douce, sans effets, qui montre des êtres humains, des maisons, des activités de chaque jour. Par moment aussi quelques visions de Paris, images elles aussi à la fois récentes et intemporelles.
La tension, l’abyme même, entre ce qui s’énonce en voix off et ce qui apparaît à l’écran, est d’une impressionnante puissance, quelque chose de tragique (130 ans de colonisation, et les suites) et pourtant d’accessible.
Deux régimes de sensibilité, sensibilité aux textes dans leur extrême violence, sensibilité aux images dans leur intime proximité, jouent et travaillent ensemble. Ils font de la vision-audition de De la conquête une expérience vibrante.
Ces images au présent, un présent long, déjouent magnifiquement le piège qui ruinait de l’intérieur la tentative narrative d’un livre qui eut un certain succès récemment, Attaquer la terre et le soleil de Mathieu Belezi. La colonisation y était contée seulement du point de vue des Français –les soldats massacreurs et les colons souffrants des conditions difficiles du début de leur installation. Le récit faisait ainsi disparaître les habitants de l’Algérie, réduits à une masse indistincte de victimes ou à une menace obscure.
Tandis que, grâce à cette idée apparemment toute simple mise en œuvre par Franssou Prenant, cinéaste qui est aussi une grande praticienne du montage, l’agencement des paroles des agresseurs du XIXe siècle et la présence de personnes –hommes, femmes, enfants– et d’environnements actuels, ou récents, redonnent chair, matière, animation, à ce qui fut si cruellement anéanti.
Ainsi ce dispositif donne à percevoir que cela qui se dit et cela qui se voit appartiennent au même monde, à une même histoire longue, toujours pas finie.
«Lost Country», de Vladimir Perišić

La mère (Jasna Đuričić) et le fils (Jovan Ginic), quand le lien filial devient explicitement un enjeu politique. | Rezo Films
En 1996 à Belgrade, alors que la guerre génocidaire menée par les Serbes contre la Bosnie vient à peine de se terminer, une part importante de la population de la capitale se soulève contre le pouvoir de Slobodan Milošević.
Parmi ces révoltés, beaucoup de jeunes, dont ce lycéen, Stefan, en porte-à-faux entre un engagement qui n’est pas seulement politique mais aussi amical, amoureux, et même existentiel, et son attachement à sa mère, porte-parole du parti au pouvoir.
De cette tension à la fois émotionnelle et politique, personnelle et collective, Vladimir Perišić fait, pour son deuxième long métrage après le remarquable et remarqué Ordinary People, une très belle composition autour d’événements complètements occultés à l’époque. (…)




La véritable Olfa Hamrouni et celle qui l’interprète, Hend Sabri, sont deux protagonistes à part entière. | Jour2fête
Entre coquetterie adolescente, passion mystique et révolte, les jeux dangereux de deux jeunes filles fascinées par l’intégrisme violent. | Jour2fête
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