Pierre Goldman (Arieh Worthalter), acteur et auteur autant qu’accusé de son procès, dans le film de Cédric Kahn, Le Procès Goldman, qui a ouvert la Quinzaine des cinéastes.
«Le Procès Goldman» de Cédric Kahn, «Ama Gloria» de Marie Amachoukeli, «Laissez-moi» de Maxime Rappaz et «Le Règne animal» de Thomas Cailley ont respectivement ouvert la Quinzaine des cinéastes, la Semaine de la critique, la sélection ACID et Un certain regard.
En dehors de la compétition officielle, le Festival de Cannes compte quatre autres sélections, Un certain regard, la Quinzaine des cinéastes, la Semaine de la critique et l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion).
Chacune a choisi son film d’ouverture, qui se trouve dès lors voué à tenir, sans l’avoir voulu, un rôle de porte drapeau, de figure de proue des choix de ces programmations qui composent une part décisive de la vaste proposition, et composition, qu’est la manifestation cannoise dans son ensemble.
On parle ici de «sélection», comme en vue d’une compétition sportive, ce qui signifie un assemblage qui n’est pas seulement une addition de talents, mais la construction d’un ensemble, qui vise également à produire une approche cohérente. Et ce quand bien même cette cohérence sera plutôt celle qui se dégagera à l’arrivée que l’application d’une «ligne» préétablie, au-delà de certaines caractéristiques –comme le fait que la Semaine de la critique et désormais Un certain regard se consacrent presque exclusivement à des premiers et deuxièmes films.
Premier constat, qui n’a rien anodin: quatre films français (léger abus de langage, Maxime Rappaz est un Suisse romand), comme l’était aussi celui qui a servi d’ouverture au Festival, mais hors compétition, Jeanne du Barry. Pour la compétition officielle, il serait délicat de donner à un des concurrents les galons de film d’ouverture, même si cela est arrivé dans le passé. Alors que Cannes continue d’apparaître aux yeux de beaucoup dans le monde comme faisant la part trop belle aux réalisations du pays hôte, on peut regretter que ce signe, pas seulement symbolique, du film d’ouverture ne soit pas moins monolithique.
«Le Procès Goldman» de Cédric Kahn
Militant d’extrême gauche passé par une guérilla sud-américaine puis devenu gangster, Pierre Goldman commit plusieurs braquages à Paris en 1969. Arrêté, il est également accusé du meurtre de deux pharmaciennes lors d’une attaque à main armée qu’il a toujours niée. Après une première condamnation, annulée par la Cour de cassation, et l’écriture en prison de son autobiographie Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, il fut rejugé à Amiens en 1976.
Signé par l’auteur notamment de Roberto Zucco, autre évocation historique d’une révolte sans issue, le film reconstitue ce procès, qui vit aussi s’affronter deux figures du barreau, à (l’extrême) droite Maître Garaud, (très) à gauche maître Kiejman. Il est remarquablement interprété, notamment par Arieh Worthalter dans le rôle titre, et également par le cinéaste Arthur Harari, qui se révèle excellent sous la toge de la défense, mais hanté de ses propres démons.
Le film tire le meilleur parti du cadre ritualisé de la cour d’assises pour faire résonner ensemble, mais de manière volontairement désaccordée, de multiples lignes de tension.
C’est à la fois la personnalité complexe, voire contradictoire, de l’accusé, les horizons différents de la mémoire de la Shoah et de l’engagement révolutionnaire des années 1960, les enjeux de la justice comme respect du droit ou comme affirmation d’une cause perçue comme juste au-delà de l’état des règles juridiques, qui est remarquablement activée.
Au fil des interrogatoires et des plaidoiries, il s’avère passionnant d’avoir reconstitué cet épisode, très largement nourri de références aujourd’hui devenues lointaines, précisément pour rendre sensibles, émouvantes, questionnantes, des interrogations essentielles, et qui sont de tous les temps.
À l’évidence, l’intense dramaturgie du film se développe à partir des différents usages du langage, du poids des mots et de la manière de les mobiliser. Mais c’est aussi bien leur prise en charge par les corps et leur distribution dans l’espace sont les ressources cinématographiques qui permettent à ce drame véritablement politique, bien au-delà des références des idéologies ou à des appartenances communautaires, de prendre toute leur puissance.
Nul doute qu’avec un tel film en ouverture, la nouvelle équipe qui pilote la Quinzaine sous la responsabilité de Julien Rejl a d’emblée légitimé sa place.
«Ama Gloria» de Marie Amachoukeli
S’inspirant semble-t-il de souvenirs personnels, la réalisatrice qu’on avait découverte en co-signataire du mémorable Party Girl, Caméra d’or à Cannes en 2014, déploie une belle aventure, d’autant plus belle qu’elle assume ses incertitudes et ses zones d’ombre.
Entre Cléo et Gloria (Louise Mauroy-Panzani et Ilça Moreno), un lien qu’il faudra transformer sans le rompre. | Pyramide
Cléo (interprétée par l’épatante Louise Mauroy-Panzani), 6 ans, adore sa nounou, d’autant plus qu’en l’absence de maman et avec un père aussi affectueux que peu disponible, elle est le seul repère stable de son existence.
Aussi quand Gloria doit rentrer dans l’île du Cap-Vert dont elle est originaire, la rupture est ravageuse pour la petite fille. Un séjour pendant les vacances dans l’île africaine sera l’occasion de… Bien des choses, en vérité, et qui ne vont pas forcément ensemble: retrouvailles et acceptation d’un changement irréversible, cocon familial et expérience de modes de vie très différents, approches par touches, pas forcément reliées, de ce qui est accepté ou pas comme véritablement autre, étranger… Cela peut mener tout près du gouffre, ou encore plus loin.
C’est la grande justesse du film d’accompagner ainsi sa jeune héroïne qui cherche en permanence à ajuster son regard (on l’a découverte, pas par hasard, chez l’ophtalmo) sur un monde qu’elle comprend mal, et qui ne la comprend pas bien non plus.
Sans idyllisme ni caricature, dans un pays en proie à des formes de misère mais aussi disposant de richesses dont Cloé n’a aucune idée (et le spectateur, en tout cas occidental, guère davantage, quel que soit son âge), Ama Gloria accueille une palette contrastée de situations.
Elles composent ensemble, mais de manière nécessairement, et courageusement, disjointes, le paysage d’une vie à venir, celle de la petite fille, dans un monde dont elle n’aura jamais toutes les clés, quelle que soit l’immensité de son affection. Ici, l’expression «film d’ouverture» prend toute la diversité de ses sens.
«Laissez-moi» de Maxime Rappaz
Jeanne Balibar est cette femme seule qui se rend régulièrement dans un hôtel où elle fera l’amour avec un homme de passage, avant de rentrer chez elle.
Chez elle, où elle exerce son métier de couturière, il y a son fils, lourdement handicapé, dont elle s’occupe avec une tendresse inépuisable. Et puis un jour, un des hommes voudrait bien ne pas être seulement de passage.
Claudine (Jeanne Balibar) face à un choix décisif. | Eurozoom
L’offre est tentante, les obligations de la vie immenses. (…)