Donald Trump pourrit l’été des cinémas français

Photo JF Dars

La gestion calamiteuse de la pandémie de Covid-19 outre-Atlantique a des effets négatifs sur le sort des salles du monde entier, et notamment en France.

C’est un dommage collatéral, voire un effet papillon à l’envers, disons, un effet éléphant –énorme cause, conséquences dispersées de tailles diverses et de natures peu prévisibles. Il illustre combien la dépendance est grande y compris dans des domaines où, exception culturelle oblige, nous revendiquons une certaine souveraineté. La gestion de la pandémie de Covid-19 aux États-Unis a ainsi des conséquences lourdes pour nos salles de cinéma.

Plusieurs enquêtes, par exemple ici, avaient montré avant la fin du confinement combien les Français·es avaient envie de retourner au cinéma au moment de la réouverture des salles, soit le 22 juin. Mais il y a un léger décalage entre avoir envie d’aller au cinéma et vouloir voir un film.

Capture d’écran 2020-06-28 à 18.15.06La publicité pour inciter le public à retourner en salles.

Outre l’acte d’aller dans une salle, pour toutes les bonnes raisons du monde, il faut quand même un peu de désir pour un objet singulier, un film –cela fait partie de ce qui différencie le cinéma des offres de flux comme la télévision, qu’on peut toujours allumer à tout hasard.

Aller au cinéma, mais pour voir quoi?

Il se trouve que, entre ressorties de titres ayant été distribués au début de l’année et ayant forcément un petit goût de réchauffé (même injuste), et nouveautés pas spécialement attrayantes, l’offre de films n’est pas au rendez-vous de cette reprise espérée.

D’ordinaire, en juin, les titres les plus attractifs sont ceux qui viennent de bénéficier d’une visibilité maximum grâce au Festival de Cannes. Mais en 2020, pas de tapis rouge sur la Croisette ni de plus grand festival du monde. Dans un effort pour contribuer quand même un peu à la vie des titres qu’il aurait soutenus si la manifestation avait eu lieu, Cannes a labellisé une cinquantaine de longs-métrages.

Non seulement l’effet, sans être nul, ne peut pas être à la hauteur d’un accueil en majesté en compétition officielle (et a fortiori d’un prix important au palmarès), mais la quasi-totalité des titres concernés par le label «Cannes 2020» attendent une période plus porteuse, ou en tout cas espérée moins confuse.

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De toute façon, comme le rappelle l’infographie ci-dessus, le mois de juin, même avec la Fête du cinéma, est traditionnellement une période relativement creuse, après laquelle les exploitants ont besoin d’une relance estivale. Celle-ci repose massivement sur les gros films de l’été, qui sont essentiellement des productions hollywoodiennes. Les autres, c’est-à-dire les productions françaises les plus commerciales, préfèrent d’autres périodes de l’année.

Le couple mondialisation et numérique

Ici intervient un effet second, mais pas du tout secondaire, du binôme qui a défini l’entrée dans le XXIe siècle: le couple mondialisation/numérique. Ces blockbusters, qui coûtent des centaines de millions de dollars à produire et autant à mettre sur le marché, ne peuvent être rentables qu’avec une exploitation maximum à l’échelle planétaire.

Or, pour atteindre ce résultat, ils doivent sortir dans le monde entier en même temps. Cette simultanéité reste le meilleur moyen pour empêcher, ou au moins réduire les risques de piratage, qui est un des effets majeurs du numérique dans le domaine des biens culturels.

La sortie mondiale reste, dans la très grande majorité des cas, définie par ce qui demeure, en volume financier, le premier marché, et celui qui est le mieux maîtrisé par les majors, celui des États-Unis.

Les dates de sortie à travers le monde de ces gros films sont donc définies par leur sortie américaine. C’est là que la gestion erratique de la pandémie dans ce pays se trouve avoir des effets également à grande distance des supermarchés à pop-corn californiens, du Michigan ou d’Alabama.

La propagation du coronavirus, facilitée par les choix aberrants et désordonnés des autorités politico-sanitaires, a en effet obligé les grands circuits de multiplexes américains à une succession de choix et de contre-choix qui a fini par ressembler à une danse de Saint-Guy –qu’en l’occurrence on ne saurait leur reprocher.

Capture d’écran 2020-06-28 à 17.40.14La situation des salles selon les états le 26 juin (tout a déjà changé depuis, et changera encore).

On a même vu là-bas se déclencher de violentes polémiques autour des enjeux du port du masque dans les salles au cas où elles rouvriraient. La situation y est d’autant plus compliquée qu’elle diffère selon les États, où elle varie selon des critères pas toujours rationnels (litote), et où le port ou non du masque est considéré comme un acte politique.

Ces polémiques sont, dans le cas particulier des salles, envenimées par le fait que dans ce pays, aller au cinéma veut dire ingurgiter des quantités astronomiques de confiseries et de soda –un tantinet compliqué par le fait d’avoir un morceau de tissu sur la bouche. Bref, c’est un vrai foutoir, qui entraîne un effondrement durable de la fréquentation. (…)

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La fréquentation des salles de cinéma est excellente. Mais pour quels films?

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Les responsables de la politique culturelle auraient tort de se satisfaire des seules statistiques, qui ne prennent pas en compte quels films ont été vus, et par qui.

A grand son de trompe est donc proclamé le résultat de la fréquentation des cinémas en France en 2014: 208 millions de spectateurs, soit le 2e meilleur résultat depuis 47 ans (211,5 millions d’entrées en 1967 et 217,2 millions en 2011). Ce score, et une augmentation de 7,7% par rapport à l’an dernier, sont en effet de très bons chiffres. Tout comme mérite d’être souligné le rééquilibrage entre les entrées des films français (44%) et américains (45%), alors qu’en 2013 le ratio était de 33 contre 54%.

Des films français occupent les trois premières places du classement, et 9 des 20 premières places (cf. tableau). Il est légitime de s’en réjouir. Mais cela ne devrait pas empêcher de considérer aussi ce que lesdits chiffres recèlent de plus complexe, et ce qu’ils dissimulent.

Fin du catastrophisme

D’abord les bons résultats de l’année contrastent avec ceux de l’année précédente, anormalement bas. Dans un environnement court-termiste prompt à la surenchère, volontiers relayé et amplifié par les médias, que n’avait-on alors entendu sur la catastrophe imminente, la nécessité de mesures d’urgence, etc.? D’habiles batteurs d’estrade en ont profité pour faire avancer quelques dossiers utiles à leurs intérêts. En fait la tendance moyenne sur la décennie est à une stabilisation à un très bon niveau, autour des 200 millions d’entrées par an, ou un peu moins.

Durant cette période, aucun des chiffres –au-dessus ou au-dessous– ne vient remettre en cause cet état de fait, qu’on peut d’ailleurs à bon droit considérer comme la traduction, dans le domaine particulier du volume de fréquentation en salle (qui n’est pas, loin s’en faut, la totalité de l’économie du cinéma) d’une action concertée efficace des pouvoirs publics et des professionnels.

 Au titre des effets de perspective, on peut ajouter le fait que Le Hobbit n’a pas fini sa carrière, et qu’il pourrait prendre pied sur le podium –à une moindre échelle, il est à prévoir que La Famille Bélier va aussi poursuivre sur sa lancée et monter dans le classement.

Par ailleurs, cette année voit aussi la part du reste du monde se réduire à 11% seulement du total. Pourtant le nombre de films ni français ni américains sortis au cours de l’année passée n’a pas baissé. La France s’honore, à bon droit, d’être le pays du monde qui accueille sur ses écrans la plus grande quantité et la plus grande diversité de films venus de toute la planète. Il est très inquiétant que ces films soient, à peine sortis, éjectés des écrans, souvent après n’avoir eu droit qu’à quelques séances.

L’éternel problème de la concentration

Ce phénomène, qui met en cause la diversité culturelle, concerne aussi les films français (et les «petits films» américains). Elle est la traduction d’un processus bien connu de l’économie de marché, la tendance à la concentration.

Car si 36 films français ont attiré plus d’un million de spectateurs au cours de l’année, la grande majorité des quelque 210 productions végètent très loin, avec un effet de paupérisation de ceux qui ne rentrent pas dans le moule du grand commerce immédiat, effet dénoncé sans relâche par les producteurs indépendants. (…)

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Cinéma français: le meilleur des mondes?

Le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) vient de publier le bilan de la production de films en France en 2011. Cette publication, qui a lieu chaque année, sonne cette fois comme un communiqué de victoire, sinon de triomphe. Les chiffres sont «historiques», ils traduisent une vitalité exceptionnelle en des termes statistiques qui viennent confirmer et soutenir le sentiment d’euphorie qui a accompagné au début de l’année le succès en salles d’Intouchables et l’impressionnante moisson de récompenses de The Artist.

Il est bien normal que l’organisme public chargé du cinéma glorifie ces résultats, d’autant que ses actions y sont pour beaucoup, notamment les dispositifs réglementaires constamment ajustés et renégociés, tandis que —il faut le rappeler sans cesse— ce n’est pas l’argent de la collectivité nationale qui est utilisé pour soutenir le cinéma, mais des sommes prélevées à l’intérieur du «secteur» (salles, chaînes de télévision, éditeurs vidéo, fournisseurs d’accès à Internet) qui sont réaffectées.

En outre, ces résultats élevés résonnent comme une revanche sur l’époque pas si lointaine où on prédisait l’effondrement de la fréquentation, et rien moins que la mort du cinéma.

Bilan triomphal

Donc, le CNC est dans son rôle. Est-ce à dire pour autant que tout est idyllique au pays du cinéma? Et ne faut-il pas s’étonner en revanche que les commentateurs n’aient fait que recopier ce dont se réjouissent l’administration et ceux parmi les professionnels qui, étant les bénéficiaires les plus directs de la situation, ne lui trouvent en effet que des vertus?

A ce bilan triomphal, on se propose d’opposer ici des inquiétudes et des réserves qui ne devraient en aucun cas être balayées sous le tapis de louanges ni noyées dans le champagne des célébrations. Bien des points noirs subsistent, ou le plus souvent surgissent, effets pervers ou hors champ dangereux de ce qui est mis en lumière.

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