Dans la main de Ryôsuke Yoshii (Masaki Suda), artisan trader dépassé par ses trafics, quelle arme est plus dangereuse, un smartphone ou un flingue?
Le nouveau long-métrage de Kiyoshi Kurosawa multiplie les genres, de la comédie à l’horreur et au film d’action, pour un état lucide du monde actuel, où fusionnent les nombreuses qualités du cinéaste japonais.
Tonique et acidulé, le début de Cloud accompagne les tribulations d’un jeune couple. Contre l’avis de sa compagne, l’homme décide de quitter son emploi pour partir s’installer à la campagne. Là, il compte prospérer plus facilement en mettant en place un système de vente en ligne de tout et n’importe quoi qui attire l’attention des internautes.
Sans crier gare, le film va passer d’une chronique familiale à une comédie noire sur les dérives du e-commerce. Ce n’est que la première embardée d’un récit qui mute en thriller survivaliste, en film d’horreur, en transposition cinématographique d’un jeu vidéo shoot ’em up, en conte métaphysique, en fable sous stéroïde, en film de gangsters, d’espionnage…
Virtuose, la composition narrative du nouveau long-métrage de Kiyoshi Kurosawa ne se limite nullement à cet exercice de haute voltige dramatique et spectaculaire. Cette malléabilité, cette capacité des situations, de leur sens, des relations entre les êtres (humains et objets) à se reconfigurer est son véritable enjeu.
Cloud, sous ses dehors de série B bizarre, est une brillantissime mise en fiction du fonctionnement du capitalisme à l’ère numérique, y compris dans ses modalités les plus délirantes et les plus meurtrières.
Intrigant, dérangeant, jubilatoire, imprévisible tout en jonglant avec les codes archi connus de multiples genres, le film déploie cette palette. Il s’y dessine peu à peu le vertige d’un monde où le profit, la déréalisation, la violence et la perte des repères décrivent le fonctionnement du monde contemporain, dans sa brutalité, ses ridicules, son immoralité, son cynisme et son infantilisme.

Dans la villa isolée en pleine forêt, épicentre des trafics, quels jeux jouent la compagne (Kotone Furukawa) et l’assistant (Daiken Okudaira) de Ryôsuke Yoshii? | Capture d’écran de la bande-annonce / Art House Films
Il est pratiquement impossible de définir combien de films a réalisé Kiyoshi Kurosawa depuis ses débuts, il y a plus de quarante ans. Sa carrière compte un nombre considérable de longs-métrages sortis en salle et présentés dans les plus grands festivals, dont des œuvres majeures comme Cure (1997), Kaïro (2001), Jellyfish (2003), Tokyo Sonata (2008) ou Vers l’autre rive (2015).
Mais elle comporte aussi une nuée de réalisations au statut plus incertain, par leurs conditions de production, leurs durées, leurs modes de diffusion, le mélange des genres qui s’y trouve. Cela va des réalisations d’étudiant bricolées sur des canevas horrifiques et burlesques à la mise en film d’une mini-série fulgurante –Shokuzai (2012)– et à des formats courts.
Parmi eux, figure l’étonnant moyen-métrage Chime –sorti en salles une semaine avant, le mercredi 28 mai– et qui est une impressionnante variation sur la présence du mal dans le quotidien. Protéiforme, la filmographie de cet auteur trouve à certains égards une sorte de concentré dans la versatilité des tonalités et des manières de filmer de Cloud.
Le titre renvoie judicieusement à la fois au brouillage qui indifférencie les limites et au dispositif numérique supposé réunir désormais toutes les données et toutes les caractéristiques des existences humaines, sous un nom qui est lui-même un leurre. (…)





