Michele (Michele Cossu), berger acculé à l’illégalité par l’injustice.
Le film de Vittorio De Seta en Sardaigne et celui d’Anders Edström et C.W. Winter au Japon sont deux œuvres hors norme, deux expériences de cinéma romanesques et poétiques à partir d’une approche documentaire à la fois revendiquée et remise en jeu.
Bandits à Orgosolo, somptueusement restauré, accompagne un berger traqué par la police dans les montagnes de Sardaigne à la suite d’une erreur judiciaire.
Vittorio De Seta, qui avait tourné deux courts-métrages documentaires dans cette communauté pastorale, joue simultanément du réalisme des lieux, des comportements d’interprètes non professionnels dont l’existence ressemble à celle des personnages, et d’une tension dramatique intense.
La longue pérégrination du berger Michele, accompagné de son petit frère et de son troupeau, est une sorte d’odyssée désespérée, magnifiée par l’image en noir et blanc, les paysages d’une âpreté mythologique, l’attention aux lumières et aux ombres, aux frémissements des regards humains, à la présence des animaux et des plantes, des roches et des nuages.
Porté par ce souffle épique, Bandits à Orgosolo, sacré meilleur premier film au Festival de Venise 1961 avant de disparaître des écrans et des mémoires, est tout aussi impressionnant et émouvant dans les scènes situées au village, par l’intensité de ce qui circule d’affection, de peur, de haine, de désir, de révolte et de violence entre ses protagonistes.
Héritier direct mais inventif du néoréalisme italien de l’après-guerre, De Seta (qui est aussi le caméraman de son film) observe avec la même empathie les visages, les mains au travail, le vol d’un oiseau de proie, la hiérarchie brutale y compris parmi les pauvres, que matérialise ici un escalier, là un mur de pierres sèches.
L’accès à cette merveille advient alors qu’on a commencé à redécouvrir l’œuvre considérable de ce cinéaste, grâce à la résurrection en 2019 de son grand film consacré à la vie d’une école et d’une banlieue de Rome Diario di un maestro («Journal d’un maître d’école»), à la suite du travail remarquable (livre de Federico Rossin et DVD) des éditions de l’Arachnéen.
L’improbable hospitalité de «Les Travaux et les Jours»
Les Travaux et les Jours est une fresque de huit heures en cinq chapitres organisés en trois parties: chapitres 1 et 2 (3h33), chapitre 3 (2h10) et chapitres 4 et 5 (2h28). C’est un film tourné au Japon par un photographe né en Suède et un réalisateur né en Californie. C’est une fiction qui a toutes les apparences d’un documentaire. Il raconte cinq saisons successives dans la vie d’une paysanne de la région de Kyoto, nommée Tayoko Shiojiri.
Projet singulier, donc, expérience inhabituelle assurément, c’est pour qui s’y essaiera un immense, un extraordinaire cadeau.
Pourtant, il ne va rien arriver d’extraordinaire dans Les Travaux et les Jours. Et dès lors tout, absolument tout devient extraordinaire: les travaux agricoles de la femme, son rapport à son mari récemment disparu, ses regrets de n’avoir pas vécu selon ses rêves de jeunesse, les repas et beuveries avec les voisins et amis.
Le soleil quand il fait beau et la neige quand il neige. Les plantes qui poussent, les gens à l’arrêt de bus près de la maison, les rituels de deuil, les activités ménagères.
Vous qui me lisez, vous ne me croyez pas, et c’est normal, puisque c’est incroyable. Mais c’est vrai.
À quoi cela tient-il? On pourrait dire (et cela ferait le lien avec la source néoréaliste du film de De Seta) qu’il s’agit d’une immense démonstration de ce principe que tout, absolument tout dans le monde où nous vivons peut être passionnant, bouleversant, amusant et mystérieux à condition de savoir le filmer. Et qu’assurément les deux signataires du film accomplissent cela. (…)