Rétroviseurs du présent: «Je suis toujours là», «Spectateurs!», «Le Quatrième Mur»

Eunice Paiva (Fernanda Torres), ses enfants, mais pas leur père –et le sourire comme arme.

Retour sur l’époque de la dictature brésilienne avec Walter Salles, héritage d’une longue histoire du cinéma chez Arnaud Desplechin ou échos actuels de la guerre civile libanaise chez David Oelhoffen: ces films mobilisent le passé pour résonner aujourd’hui.

«Je suis toujours là» de Walter Salles

Malgré l’inquiétante séquence d’ouverture où une femme se baigne dans la mer, scène légère bientôt alourdie de la menace, même encore informulée, d’un vol d’hélicoptère, il faut un peu de temps pour que se précise la singularité du nouveau film de Walter Salles.

Être aux côtés des membres de cette famille très aisée de Rio au début des années 1970, à l’époque où la dictature militaire au Brésil durcit encore sa politique répressive, apparaît d’abord comme une situation décalée. Dans la grande maison de Rubens Paiva, qui a été député d’un parti de centre gauche, sa famille et ses amis vivent, entre plage et soirées amicales, une existence relativement paisible.

La mère, Eunice, les cinq enfants et adolescents qui composent la progéniture, les amis et amies des unes et des autres, sans ignorer la situation, ont des préoccupations et des modes de vie où dominent tracas personnels et plaisirs du quotidien.

Loin des très nombreux films dénonçant les crimes innombrables de la dictature brésilienne, et de leurs homologues installés par les États-Unis pratiquement partout en Amérique latine dans les années 1960-1980, Je suis toujours là approche la question avec une légèreté qui ressemble à ce sourire qu’Eunice exigera de ses enfants, sur toutes les images publiques, après que la terreur se sera abattue sur la maison.

C’est elle, Eunice, qui dit «je» dans le titre. Elle qui peu à peu, de bourgeoise conformiste, devient cette figure de combat, en inventant ses propres armes de résistance, en faisant se construire autour d’elle et des siens d’autres relations, qui ne seront pas seulement tournées vers leur propre cas, leur propre intérieur.

Eunice Paiva, soudain prise dans l'étau –et qui trouvera comment l'affronter. | Studiocanal

Eunice Paiva, soudain prise dans l’étau –et qui trouvera comment l’affronter. | Studiocanal

Le film de Walter Salles raconte une histoire authentique, telle qu’elle a été écrite par le fils, Marcelo Paiva, écrivain et dramaturge brésilien. Il importe, évidemment, de savoir que les faits évoqués ont bien eu lieu, mais on ne sait que trop combien ce «d’après une histoire vraie» ne garantit rien, et est souvent la caution de la médiocrité cinématographique. Ici, c’est tout le contraire.

La force émouvante et dynamique de Je suis toujours là tient pour l’essentiel à trois forces associées. La première, la plus évidente, est la puissance d’incarnation des interprètes, à commencer par Fernanda Torres. Star dans son pays où elle est aussi connue comme écrivaine, elle retrouve Walter Salles trente ans après le beau Terre lointaine, qui avait révélé le cinéaste, avant l’Oscar de Central do Brasil.

Le deuxième atout du film est spatial. Il concerne le sens de la composition des points de vue, essentiellement celui de la mère et des quatre filles, chacune porteuse d’une approche et d’une distance différentes aux événements qu’elles affrontent toutes.

Le troisième est temporel, avec la réussite de l’inscription des faits du début des années 1970 dans une continuité qui court jusqu’à aujourd’hui, articulant ainsi les événements d’alors, leurs échos contemporains, la trajectoire étonnante d’Eunice Paiva, les engagements des différents membres de sa famille, les évolutions de la situation politique brésilienne, y compris les combats pour les droits des peuples autochtones, et la défense de l’environnement.

Dans son pays d’origine, le film est devenu un phénomène à la fois culturel et politique, avec des millions de spectateurs retrouvant le chemin des salles pour un film brésilien pour la première fois depuis très longtemps, et au moment où une tentative de coup d’État par les nostalgiques des tortionnaires des années 1970, dont l’ex-président Jair Bolsonaro, arrive devant la justice.

Dès lors, celle qui dit «Je suis toujours là», c’est aussi la démocratie elle-même. Une revendication qui n’a rien d’anodin dans le Brésil contemporain. Ni ailleurs.

Je suis toujours là
de Walter Salles
avec Fernanda Torres, Fernanda Montenegro, Selton Mello, Valentina Herszaje, Luiza Kozovski, Bárbara Luz
Durée: 2h15
Sortie le 15 janvier 2025

«Spectateurs!» d’Arnaud Desplechin

Avant de tourner son neuvième «vrai film», Federico Fellini tourna jadis Huit et demi, interrogeant sa place et ses sentiments de réalisateur –Huit et demi étant bien sûr un vrai film lui aussi.

De même, la nouvelle réalisation d’Arnaud Desplechin, qui est bien elle aussi un vrai film, aurait pu s’intituler Treize et demi. Mais le cinéaste de Rois et Reine et de Roubaix, une lumière choisit d’interroger moins son propre rôle ou les désirs de l’auteur qu’il est que les liens qu’il entretient avec le cinéma, en tant qu’il en a été et en reste spectateur.

Entre la lumière du projecteur au ciné-club du lycée et une possible idylle, Paul D., double fictif d'Arnaud D., choisira. | Les Films du Losange

Entre la lumière du projecteur au ciné-club du lycée et une possible idylle, Paul D., double fictif d’Arnaud D., choisira. | Les Films du Losange

Il construit à cet usage une fiction autobiographique, où une succession de jeunes acteurs interprètent à différents âges ce Paul Dédalus qui est depuis Comment je me suis disputé le double à l’écran du cinéaste.

Mais Desplechin ne se veut pas le seul spectateur à figurer dans son film-miroir. Il en convie d’autres, dont des anonymes qui parlent de leur rapport à la salle, à l’écran, aux émotions que suscitent les films. Il convie des amis et connaissances, cite avec effusion ses grands mentors (le philosophe Stanley Cavell, Claude Lanzmann, Ingmar Bergman et François Truffaut), ressuscite une leçon qu’il a suivie à la fac d’un professeur qui était aussi un cinéaste et critique, Pascal Kané.

Séquence après séquence, très présent en voix off et à travers ses avatars fictionnels, il répond, en son nom et en assumant cette place, à la question du livre fondateur d’André Bazin: Qu’est-ce que le cinéma?

On pourra, on devrait débattre des réponses d’Arnaud Dédalus, s’amuser ou s’agacer d’un raccourci, s’enthousiasmer d’un trait lumineux, d’une émotion dont la sincérité balaie l’idée même de réserve. Mais le plus beau, le plus émouvant dans Spectateurs!, c’est que, bien sûr, il n’y a pas de réponse à la question «qu’est-ce que le cinéma?», et que Desplechin le sait bien. (…)

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«Be Natural», une histoire mal entendue

À gauche, Alice Guy-Blaché dirige une scène de western. | Splendor Films

L’évocation de la vie remarquable d’Alice Guy par le film de Pamela B. Green qui sort en salles le 22 juin rappelle un parcours créatif exceptionnel dans un environnement durablement sexiste.

Elles et ils se succèdent à l’écran, pour dire que non, ils ne voient pas, n’ont jamais entendu parler de cette personne. Elles et ils sont des professionnel·les du cinéma américain. La personne se nomme Alice Guy.

Ce qui est passionnant dans le film de Pamela Green est que, contrairement à ce qu’il insinue, Alice Guy n’est nullement une inconnue –du moins au sens où son existence et son œuvre auraient été ignorées.

Au moins depuis les années 1980, un très grand nombre de livres et d’articles ont été publiés, à la suite de l’autobiographie de l’intéressée dès 1976. Des films sur son parcours ont été réalisés (dont une fiction avec Christine Pascal dans le rôle principal, et Dussolier en Léon Gaumont), des rétrospectives organisées, de nombreux enseignements universitaires concernent son travail…

L’existence et l’importance de son œuvre demeurent néanmoins confidentielles, notamment dans les deux pays où elle a travaillé, les États-Unis mais aussi la France où il est probable qu’une enquête similaire à celle qui ouvre le film donnerait des résultats comparables, ce que suggère la réponse de l’étudiante de la Fémis qui assiste à des projections dans une salle Alice Guy de son école sans savoir à qui ce nom renvoie.

Le sujet de Be Natural est dès lors double, et c’est dans ce redoublement que se niche sa réussite. Il s’agit de raconter l’histoire, en effet extraordinaire, de cette femme.

Et il s’agit de raconter non pas, ou non plus une ignorance, mais un déni: la façon dont certaines personnalités majeures dans un domaine –le cinéma en l’occurrence– demeurent dans les marges d’une reconnaissance qui serait évidemment une justice à leur rendre mais aussi une avancée réelle dans la compréhension du domaine en question. Sans surprise, ce phénomène frappe tout particulièrement les femmes.

Un destin hors-norme

Donc, l’histoire d’Alice Guy. Usant (et abusant) de trucages numériques, le film résume le contexte dans lequel apparaît cette jeune femme de 23 ans, secrétaire du patron d’une des toutes premières entreprises de cinéma au monde, Léon Gaumont.

Alice Guy en 1896, l’année de ses débuts. | Alice-Guy Jr. via Wikimedia

Il raconte la mise en place à sa propre initiative des premiers tournages de courts-métrages de fiction, dont La Fée aux choux, dès 1896 –donc quelques mois après la séance publique inaugurale des frères Lumière le 28 décembre (séance qui comportait un film de fiction, L’Arroseur arrosé). Durant onze ans, elle écrit et réalise quelque 200 films, souvent très inventifs et parfois transgressifs vis-à-vis des normes sociales et des bonnes mœurs, dont les mémorables Madame a des envies, Les Résultats du féminisme ou Une femme collante sans oublier le délirant Matelas épileptique.

Mais elle tourne aussi une Vie du Christ d’une durée inhabituelle pour l’époque (35 minutes), et participe à l’exploration du cinéma parlant (et chantant) avec des dizaines de films destinés à être sonorisés en couplant le projecteur avec un gramophone. Si elle n’est pas nécessairement la première à expérimenter tout ce que lui attribue le film, elle témoigne incontestablement d’une créativité et d’une liberté d’esprit exceptionnelles.

Ayant épousé Hubert Blaché et devenue donc Alice Guy-Blaché, c’est sous ce nom qu’elle suit son mari aux États-Unis. Là, elle crée de toutes pièces un studio de cinéma, nommé Solax, où elle conçoit et réalise entre 1910 et 1920 des westerns, des films policiers, des films d’amour, des films historiques et des films à sujets «de société».

Elle filme en particulier en 1912 ce qu’on considère le tout premier film entièrement interprété uniquement par des Noirs –les acteurs blancs ayant refusé de participé à un projet où, refusant le blackface alors en usage, elle tenait à ce que les personnages noirs soient joués par des Afro-Américains.

Une scène de A Fool and His Money, entièrement interpété par des acteurs Noirs. | Splendor Films

Dans le bâtiment qui héberge à la fois bureaux de production, locaux techniques et plateaux de tournage, elle a placardé en grand cette instruction destinée aux acteurs: Be Natural.

Une des caractéristiques de son cinéma est en effet un jeu beaucoup moins outré que celui alors en vigueur devant les caméras du cinéma muet, dimension importante d’une modernité qui se retrouve aussi bien dans les thèmes traités (dont en 1916 un projet en faveur du planning familial, bloqué par la censure et les églises) que dans les choix stylistiques des nombreux films alors réalisés, écrits et produits par elle.

Plus difficilement mesurable, et pourtant évidente: la beauté de ses compositions visuelles, un sens du cadre et de la dynamique des plans qui attestent qu’elle est elle-même ce que les Américains appellent a Natural, une artiste naturellement douée pour l’art qu’elle pratique, le cinéma.

La concurrence impitoyable du Trust Edison, véritable mafia qui règne au début du siècle sur l’industrie naissante de l’entertainment, et les comportements irresponsables et déloyaux de son mari mèneront la Solax à faillite et au divorce. En compagnie de ses deux enfants, Alice Guy rentre en France en 1922, ruinée.

Une chasse au trésor

Durant quarante-six ans, jusqu’à sa mort à 96 ans en 1968, elle n’aura de cesse de faire reconnaître ses droits sur ce qu’elle a accompli. C’est la deuxième histoire que conte Be Natural.

Sa réussite consiste non pas à les raconter successivement mais à entretisser le parcours biographique de cette femme étonnante, sa propre quête pour une juste reconnaissance de ce qu’elle a fait et la recherche menée au présent par la réalisatrice pour évoquer ce destin hors norme, marqué par plusieurs péripéties romanesques, et les conditions dans lesquels il a été occulté, puis en partie redécouvert.

Pour ce faire, Pamela B. Green a interviewé des dizaines et des dizaines d’interlocuteurs aux compétences variées, dont certains, tel l’auteur de ces lignes, n’apparaissent à l’écran qu’une seconde et demi. Ensemble, ils composent une étonnante mosaïque de savoirs et d’incertitudes.

Il s’agit de reconstituer le parcours d’un femme, d’une cinéaste. Mais il s’agit aussi de rendre perceptible une autre quête, qui lui est liée mais obéit à d’autres règles: celle des films eux-mêmes.

Pour des raisons qui tiennent en grande partie au destin du cinéma muet en général, mais aussi à des motifs frappant plus particulièrement cette œuvre-là, l’immense majorité des films d’Alice Guy étaient perdus, ou réputés tels.

À la recherche des films perdus. | Splendor Films

Ils réapparaissent peu à peu, grâce au travail d’historiens, d’archivistes, d’amateurs passionnés, de cinémathèques. Et plus on en retrouve, mieux on vérifie que leur réalisatrice n’est pas seulement la détentrice d’une sorte de record pour Guiness Book –la première réalisatrice de l’histoire du cinéma– mais une artiste de première grandeur.

Cette enquête à travers les Amériques et plusieurs pays d’Europe est contée avec un sens du suspens fabriqué avec méthode, mais qui transmet une véritable joie lors de la mise à jour d’un document ou d’un témoignage. Des membres plus ou moins éloignés de sa famille, et plus ou moins au courant de ce lien de parenté, participent de cette chasse au trésor.

Pourtant le joyau dudit trésor est bien en évidence, et scande tout le parcours du film: il s’agit de la présence d’Alice Guy elle-même, qui fut deux fois interviewée, par la télévision française en 1964, et, au même moment mais avec seulement un magnétohone pour en garder traces, par le premier chercheur à avoir entrepris de lui rendre la place qui lui revient, l’historien belge Victor Bachy.

D’une extraordinaire présence, à l’image dans le premier cas, uniquement au son dans le second, cette femme alors âgée de 90 ans se révèle une impressionnante conteuse, ni amère ni résignée, d’une fulgurante précision quant aux faits qu’elle a traversés comme quant aux motivations de ceux auxquels elle a été confrontée.

Parmi ceux-ci figurent la corporation des critiques et historiens du cinéma, et la manière dont ils auront longtemps systématiquement sous-estimé et distordu son rôle, y compris en toute connaissance de cause. (…)

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En 2018 ou en 1019, neuf DVD et coffrets à ne pas manquer

Marginalisé par les plateformes en ligne, le DVD est de plus en plus l’occasion d’éditions soignées, souvent accompagnées de compléments audiovisuels ou imprimés de qualité.

L’intégrale Nuri Bilge Ceylan, Memento Films

Le cinéaste turc auréolé de la Palme d’or 2014 pour Winter Sleep s’est imposé depuis seize ans (avec Uzak, en 2002) comme une grande figure du cinéma international, et comme le seul représentant de son pays sur la scène mondiale.

La vertu de ce coffret est de permettre d’avoir accès à l’œuvre dans son ensemble, ce qui permet d’en vérifier la cohérence, l’ambition, les innovations du réalisateur au sein de son propre univers, jusqu’au récent Poirier sauvage, qui fut l’un des titres importants de la compétition officielle lors du dernier Festival de Cannes.

Bilge Ceylan est l’auteur d’au moins un chef-d’œuvre, le magnifique Il était une fois en Anatolie (2011). Mais grâce à cette édition, il sera aussi possible de vérifier –ou de découvrir– combien ses deux premiers longs-métrages, peu vus, les très beaux Kasaba (1997) et Nuages de mai (2000), révélaient déjà la puissance d’évocation de son cinéma.

Clint Eastwood, collection de dix films, Warner

Il n’y a pas que les petites maisons courageuses pour continuer de proposer des éditions de qualité de grands cinéastes. Le Studio Warner sort ainsi toute une batterie de coffrets, qui concernent trois cinéastes majeurs. Rien d’inédit ici, mais la possibilité de réunir des pans considérables d’œuvres qui ne le sont pas moins.

Stanley Kubrick, évidemment, avec quatre titres essentiels (mais ils le sont tous): Orange mécanique, Shining, Full Metal Jacket et Eyes Wide Shut.

Une quasi-intégrale de Christopher Nolan, figure majeure de la recherche actuelle au cœur même de l’industrie hollywoodienne, véritable auteur de cinéma au plein sens de la formule.

Et des florilèges, déclinés selon plusieurs formules, du cinéma de Clint Eastwood. Parmi les options, arrêt sur le coffret de dix titres réalisés entre 1993 (Un monde parfait) et 2016 (Sully). On peut dire la carrière du réalisateur Eastwood inégale, elle l’est, mais elle témoigne d’une ambition, d’une diversité, d’une sensibilité à l’époque et à ses enjeux exceptionnelles.

C’est vrai du chef-d’œuvre du western critique et torturé si mal nommé (en français) Impitoyable et de son pendant côté film noir encore plus douloureux Mystic River, vrai du sommet du mélo que reste Sur la route de Madison comme de ce grand film humaniste et démocratique qu’était Gran Torino, ou de ce biopic décalé, histoire d’une certaine Amérique plus que du flic Hoover, J. Edgar. Et c’est aussi vrai d’un titre tenu à tort comme mineur, l’étrange et troublant Créance de sang.

Il ne s’agit pas ici seulement d’ambition concernant les genres ou les sujets, il s’agit d’un style, nerveux, tendu, extrêmement attentif aux rythmes et aux présences humaines, sur des trajectoires très fréquemment au bord du gouffre.

Alors, oui, on peut se passer d’Invictus et d’American Sniper, qui complètent le coffret. Mais on ne peut pas, si on aime le cinéma, se passer de Clint Eastwood, et les huit autres films en portent un imparable témoignage.

René Féret, 40 ans de cinéma, JML Distribution

C’est, si on veut, le contraire du précédent –ou plutôt son symétrique. René Féret, réalisateur de seize films en quarante ans, n’occupe pas le haut de l’affiche. Dans une pénombre plutôt injuste, il a tracé un sillon obstiné et personnel, aussi parce qu’il vivait dans un pays, la France, où des réalisateurs ne rencontrant guère le succès commercial peuvent poursuivre ce que l’on nomme une carrière –avec énormément de difficultés, mais ils peuvent.

Féret s’est fait connaître en 1975 avec le très beau Histoire de Paul, salué par la critique et une forme de reconnaissance. Son deuxième film, en compétition à Cannes, La communion solennelle (1977), semblait devoir établir une place stable pour cet auteur au ton et au regard singuliers, fils de commerçants du Nord resté attaché à l’univers dont il est issu, proche des personnages et des situations, dans une veine qui le rapproche de René Allio et de Robert Guédiguian, dont il a produit certains films. Troublant, Le Mystère Alexina, récit de l’apparition dans l’espace public d’une personne trans* d’après un texte exhumé par Michel Foucault –proche du réalisateur depuis ses débuts–, reste dans les marges de la visibilité.

Ce sera désormais le destin de ses films, produits par sa propre société aux allures de coopérative. Sans stars ni soutiens médiatiques, ils ne retiennent guère l’attention –jusqu’au dernier, l’émouvant Anton Tchekhov 1890, sorti discrètement en 2015, l’année où son auteur s’éteignait à l’hôpital.

Ce cube noir qu’est le coffret réunissant la totalité de ses films est un petit pavé dans la mare d’une indifférence injuste. Il témoigne d’une des raisons d’être du DVD, la possibilité de garder trace, et si possible de ramener à la mémoire, des films ou des ensembles de films qui ne risquent pas d’être souvent recherchés sur internet ou programmés par les télévisions.

Jean-Paul Belmondo et Alain Delon, Carlotta

En France aussi, on a des stars. En tout cas, on en a eu, deux d’un coup, en miroir plus qu’en supposés conflits entretenus par les gazettes, mais pas moins complètement différents pour autant.

Jean-Paul Belmondo, formé au théâtre classique et révélé par la Nouvelle Vague naissante, chez Godard, Chabrol et Truffaut, deviendra un Bebel national gouailleur et très peu regardant sur l’intérêt des films dans lesquels il tournera, au-delà du soin apporté à sa figure, sinon à sa statue.

Les six DVD réunis ici sont assez proches du meilleur choix possible pour évoquer son parcours, à partir de sa rampe de lancement des années 1960, avec À bout de souffle, mais aussi le film noir brutal et mélancolique de Jean-Pierre Melville, Le Doulos, le jaillissement du gai luron cascadeur dans L’Homme de Rio, l’adoubement par Gabin (Un singe en hiver) et Ventura (Cent mille dollars au soleil). Ce qui mène au Magnifique, emblème de la gloire déjà établie, du typage du personnage, de ses ficelles et de ses charmes. C’est d’ailleurs le titre du gros album que l’éditeur Carlotta publie avec les DVD, Jean-Paul Belmondo le magnifique, de Sophie Delassein.

Le coffret consacré à Alain Delon est lui doté d’un livre rédigé par Baptiste Vignolet, et porte le titre plus austère d’Une carrière, un mythe. Avec le jeune homme surgi de nulle part et irradiant l’écran, qui deviendra l’acteur français le plus célébré dans le monde (et le reste), on retrouve des parallèles avec Belmondo.

Lui aussi a reçu l’onction de Jean Gabin (Mélodie en sous-sol est réalisé par Henri Verneuil juste après Un singe en hiver), les deux se retrouvant ensuite dans Deux hommes dans la ville, puis dans le cadre du trio générationnel Gabin-Ventura-Delon du Clan des Siciliens. Si Plein soleil est à la fois le long-métrage qui a largement révélé l’acteur et désormais un film culte, même avec le magnifique Cercle rouge de Jean-Pierre Melville (Melville, autre point commun entre les deux acteurs), l’ensemble complété par le racoleur La Piscine est loin de rendre justice ni au mythe, ni à la carrière de celui qui fut inoubliable chez Visconti et Antonioni, Cavalier et Losey, pour s’en tenir là aussi aux seules années 1960 et 1970.

Cinq films de Mikio Naruse, Carlotta

Depuis longtemps reconnu comme le quatrième du carré d’as du grand cinéma classique japonais (avec Mizoguchi, Ozu et Kurosawa), Naruse demeure dans les faits en retrait, comme si la reconnaissance occidentale ne pouvait absorber plus de trois auteurs.

C’est parfaitement injuste, au vu en particulier des cinq films qui composent ce coffret. Délicatesse et cruauté, élégance et vertige des émotions courent tout au long de ces œuvres à la beauté fragile, toutes centrées sur des personnages féminins mémorables.

On a eu l’occasion, grâce à une sortie en salle, de dire tout l’enthousiasme qu’inspire Une femme dans la tourmente (1964), mais du Grondement dans la montagne (1954) à son quatre-vingt-neuvième et dernier film, Nuages épars (1967), l’ensemble proposé par ce coffret permet un premier survol judicieux d’une œuvre qui reste encore à découvrir.

«Taipei Story» et «A Brighter Summer Day» d’Edward Yang, Carlotta

Le deuxième et le quatrième film d’Edward Yang sont deux sommets du cinéma moderne chinois. A Brighter Summer Day (1991) est même désormais reconnu comme l’une des grandes œuvres du cinéma mondial, enfin rendu accessible dans sa version intégrale. Fresque générationnelle, le film démontrait une richesse et une sensibilité dans la mise en scène exceptionnelles.

Mais Taipei Story (1985), dont l’interprète principal est l’autre immense réalisateur taïwanais apparu au début des années 1980, Hou Hsiao-hsien, est un portrait impressionnant de finesse tendue d’un homme à la dérive dans un univers qui bascule, alors que Taipei –et toute une partie de l’Asie– entrait dans un nouveau monde. Là aussi, l’invention formelle et l’intelligence de la composition sont au service d’une compréhension d’un bouleversement à l’échelle d’une société toute entière.

N.B.: l’auteur de ces lignes a contribué à l’un des bonus de ces films.

 

«Daïnah la métisse» de Jean Grémillon, Gaumont

Signé d’un des plus grands cinéastes français (l’auteur de Remorques et de Lumière d’été, entre autres), ce film de 1932 est à la fois sidérant de beauté et passionnant pour les enjeux qu’il mobilise. Racontant un crime à bord d’un paquebot de luxe en route vers les tropiques, il a pour héros des personnages totalement exclus du cinéma français de l’époque, une jeune femme métisse et son mari noir (joué par Habib Benglia, le seul acteur noir du cinéma français d’avant-guerre).

La splendeur des images, composées par le peintre Henri Page et sublimement restaurées par les orfèvres de l’Immagine ritrovata de Bologne, se déploie aussi bien dans les scènes documentaires de la vie à bord, notamment dans la salle des machines ou lors du «passage de la ligne», que dans les compositions proches du surréalisme, en particulier l’incroyable bal masqué, ou les tours de magie renversants qu’exécute le mari de Daïnah.

Autour de celle-ci, c’est une troublante sarabande de séduction, de jeux des apparences, de passion physique aux limites de la transe, de désir, de violence et de mort qui se déploie dans ce film bref (52 minutes) d’une intensité rare. Si sa brièveté tient en partie à ce que des éléments ont été perdus, cela n’affaiblit nullement l’intérêt du film, où le son alors naissant joue un rôle important –notamment la musique et les bruits du navire.

Daïnah la métisse n’est pas seulement la révélation d’un objet plastique de toute beauté, c’est aussi un cas sans équivalent de transgression des codes coloniaux d’alors, avec deux personnages principaux «de couleur», un assassin blanc (la seule vedette du générique, Charles Vanel) et un jeu d’une richesse étonnante avec les références –en matière de races, de classes, de genres– tout autant qu’avec les formes.

Trois raisons de voir «Les Trois Désastres», le court-métrage 3D de Jean-Luc Godard

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Les Trois Désastres, de Jean-Luc Godard | 25 min | in 3X3D | sortie le 30 avril 2014

En prélude à la présentation à Cannes du nouveau long métrage de Jean-Luc Godard, Adieu au langage, réalisé en 3D, sort sur les écrans, ce mercredi 30 avril, Les Trois Désastres, court-métrage du même réalisateur, également en 3D. Il se présente comme faisant partie d’un assemblage de films courts intitulé 3X3D, assemblage produit au nom de la ville portugaise de Guimarães, qui était capitale européenne de la culture en 2012. La plus élémentaire charité commande de ne rien dire des deux autres courts métrages, réalisés par Peter Greenaway et Edgar Pêra. Mais pour rester en affinité avec cette entreprise placée sous le signe du chiffre 3, disons que le film de Godard est passionnant pour trois raisons.

1. Godard, une parole toujours nouvelle

Selon un procédé dont le réalisateur est devenu virtuose au cours des années 1990, durant la conception de l’ensemble Histoire(s) du cinéma et ses œuvres satellites (The Old Place, L’Origine du XXIe siècle, Dans le noir du temps, Moments choisis des Histoire(s) du cinéma, Ecce Homo), il assemble des images fixes ou en mouvement venues de très nombreux films (dont les siens), des musiques et des voix pour composer une méditation ici centrée sur les effets de la science et de la technique, dans la société et dans l’art du cinéma en particulier.

Les compositions de Godard possèdent une puissance émotionnelle, qu’on dirait envoûtantes si elles ne stimulaient aussi en permanence la réflexion et l’esprit critique tout autant que les émotions. Voilà qu’à nouveau se déploie cette sensation que quelque chose de vraiment grave, de vraiment juste, se murmure ici dans un langage qu’on ne pratique pas et que pourtant on n’ignore pas, ou dont on garde des réminiscences.

Il y a quelque chose de la Pentecôte dans cette descente d’une parole inconnue et que pourtant on comprend, et quelque chose de la prière dans cette répétition incantatoire –bref, une dimension qu’on ne saurait dire religieuse (ni Dieu ni église ici), mais qui a bien à voir avec le sacré.

2. Godard, mort et ressuscité

Comme souvent chez Godard, il est impossible de décider jusqu’à quel point ce qui lance un film en est le thème, ou seulement un prétexte pour s’aventurer bien ailleurs. Ici, en tout cas, le numérique, et en particulier l’image 3D, sont clairement un enjeu, et de manière explicite, la cible de ce qui se présente comme une attaque implacable, que soulignent le titre ou la formule «le numérique sera une dictature».

Mais comme souvent, aussi, chez Godard –en fait, comme toujours depuis son retour sur la terre du cinéma, au début des années 1980–, les dénonciations radicales, et toujours dignes de la plus grande attention, des trahisons et effondrements du cinéma sont contredites par les images et les sons de celui qui affirme que tout cela est mort et sans intérêt alors que lui-même en ressuscite, seconde par seconde, la beauté et le mystère.

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Méliès-Scorsese, de l’autre côté de la magie

Dans Hugo Cabret, Martin Scorsese accorde une place très particulière à Georges Méliès au sein de l’histoire du cinéma. Le film n’en fait pas du tout l’inventeur du cinéma, contrairement à ce qu’on lit ici ou là, bien au contraire il prend le temps d’une véritable leçon d’histoire, qui accompagne étape par étape les premiers pas du septième art. Cette histoire a d’ailleurs ceci de remarquable, pour une production hollywoodienne, d’accorder sans ambiguïté la paternité aux frères Lumière, et non à Thomas Edison comme il est d’usage aux Etats-Unis[1]. Dans Hugo Cabret, Méliès n’est pas l’inventeur du cinéma, il est celui qui, à un moment précis de l’histoire de celui-ci, l’incarna le mieux. Très exactement au tournant du siècle, après Lumière, avant Edwin S. Potter et David W. Griffith. Le Méliès de Scorsese est une légitime incarnation du cinéma lui-même, du geste cinématographique tout entier, à égalité avec les Lumière, avec Griffith, avec Eisenstein, avec Fritz Lang, avec Orson Welles ou Roberto Rossellini ou Jean-Luc Godard. Il ne s’agit pas de compétition mémorielle ni de classement entre qui serait plus ou moins important. Il s’agit de raconter une histoire avec un personnage, le cinéma, qui peut prendre de multiples figures, dont celle de Méliès qui dès lors le représente tout entier. Une des intrigues de ce film à la construction complexe, l’intrigue plus spécifiquement consacrée à l’histoire du cinéma, se joue donc sur la combinaison de trois axes. C’est l’histoire de la réhabilitation (authentique) de Méliès en 1929, 16 ans après avoir cessé toute activité liée aux films, tribulation dramatique avec happy end incroyablement « cinématographique ». C’est la revendication qu’il n’y a pas de « vieux films » (même s’il y a bien un vieux cinéma), et que ceux qui ont incarné en beauté un moment de l’histoire du cinéma ont toute leur place dans l’évolution de celui-ci – d’où l’importance pour Scorsese de la conservation et de la restauration, dont son film fait l’éloge, et auxquelles on sait quelle place accorde le fondateur de la World Cinema Foundation. Et c’est la mobilisation d’une vertu particulière et essentielle du cinéma, celle de garder vivantes les traces du passé, permettant une relation à la mémoire sans équivalent, avec les relations à l’au-delà qui se traduisent ici par la « résurrection » du spectral Monsieur Georges en Méliès.

Outre l’existence du roman graphique de Brian Selznick dont s’inspire le film, le choix de Georges Méliès plutôt que d’une autre incarnation possible du cinéma répond à plusieurs motifs. L’un d’eux est l’intelligent parallèle entre les inventions de l’auteur du Voyage dans la lune et les nouveaux trucages numériques, et en particulier de la 3D, dont Martin Scorsese est le premier depuis Avatar à faire un usage créatif et légitime par rapports aux thèmes de son film – du moins à Hollywood : ce qu’ont fait Wenders et Herzog se situe dans un registre différent. Un autre motif de ce choix est le goût de Martin Scorsese pour les constructions, les mécaniques cinématographiques, « mécanique » étant pris au sens large, qui concerne aussi bien les scénarios que les dispositifs techniques. Il faut ici, une fois de plus, insister sur l’absurdité qu’il y a à opposer un « cinéma Lumière » (réaliste, documentaire) à un « cinéma Méliès » (artificiel, fictionnel), facilité paresseuse contre laquelle François Truffaut s’était, parmi d’autres, brillamment élevé en son temps. Les Lumière ont très vite tourné des fictions (L’Arroseur arrosé, 1896) et recouru aux trucages (Démolition d’un mur, 1896). Et Méliès, tout grand prestidigitateur héritier de Houdini qu’il ait été, était aussi passionné de réalité, inventant notamment des appareils à enregistrer le monde à 360° pour mieux le restituer à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900[2]. De même, si Scorsese est à bon droit célébré pour ses créations fictionnelles, la dimension documentaire de son cinéma en est un aspect important, pas seulement lorsqu’il réalise ce qui est étiqueté comme « documentaire » (Italianamerican et The Last Waltz sont de grands films, et No Direction Home un chef-d’œuvre), mais pour la manière dont depuis Who’s That Knocking at my Door et Mean Streets il aura documenté, par la fiction, certains aspects de la vie de Little Italy à New York notamment.

Mais bien sûr Scorsese aura aussi adoré et défendu avec toute son énergie des formes de cinéma fondées sur l’artifice, le cas le plus exemplaire étant sans doute la véritable passion qu’il voue aux Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger. Dans ses propres films, on retrouve toute une veine où l’artifice revendiqué des codes de mise en scène affirme la possibilité de passer par les effets les plus irréalistes et les stylisations les plus poussées pour atteindre à des formes de vérité autres que la similitude avec le réel. La veine « fantastique » à laquelle appartiennent, d’une manière ou d’une autre, La Valse des pantins, Afterhours, Les Nerfs à vif, A tombeau ouvert ou Shutter Island, les convention du musical pour New York, New York, l’onirisme de La Dernière Tentation du Christ, l’horlogerie dramaturgique des Infiltrés ou l’expressionisme de Gangs of New York participent de cette relation aux machinations visuelles, narratives, psychologiques – tout comme d’ailleurs l’extraordinaire dispositif de prises de vue pour le concert de Shine a Light.

De tous les films de Scorsese, c’est pourtant sans doute Casino qui exprime le plus clairement la relation fantasmatique à la fabrication d’un appareillage à la fois matériel, humain et imaginaire qui, littéralement, engendre un monde. C’est l’inoubliable début du film, avec la description d’un agencement de procédures sophistiquées (bâtiments, systèmes de communication et de surveillance, transmissions, répartitions des rôles, circulation des désirs, des richesses, des allégeances et des dominations), agencement qui assure la prospérité de tous, agencement dont le reste du film racontera la destruction.  Le monde mafieux tel qu’il aurait existé dans un supposé âge d’or est comme le nom moins mythique âge d’or des Studios, il est comme la grande machine de la gare parisienne de Hugo Cabret, elle-même transposition à échelle géante des appareillages du cinématographe.

Mais Martin Scorsese connaît aussi la face sombre de ces puissances démiurgiques, il leur a notamment consacré le récit de folie de The Aviator. Ceux qui fabriquent de telles machineries, et notamment ceux qui font des films sont aussi capables de retourner les rouages de la fabrication des imaginaires contre les humains, ou de s’y broyer. Si le cinéma de Méliès en est la mise en œuvre la plus digne d’affection, la plus propre à susciter des plaisirs partageables par tous, c’est qu’il possède deux vertus essentielles aux yeux de l’auteur de Raging Bull, du Temps de l’innocence et de Kundun : une forme d’innocence, et le fait d’être profondément du côté des vaincus.

 

(Ce texte a été rédigé pour le numéro 2 de la revue espagnole Caiman, Cuadernos de cine)


[1] En revanche, le film attribue à la Guerre de 14 la faillite de Méliès, alors que celle-ci est survenue avant le début des hostilités, et pour une grande part à cause de malhonnêtetés d’Edison. Mais  s’il a historiquement tort sur ce point, Scorsese a raison sur le plan de la dramaturgie : c’est mobiliser une grande cause, la guerre mondiale, plutôt qu’un conflit de personnes, même si la rivalité franco-étatsunienne pour dominer le cinéma au début des années 1910 est loin d’être anecdotique.

[2] « Ayant remarqué que les Vues habituelles du Cinématographe ne peuvent donner qu’une idée très imparfaite des lieux représentés en raison de l’exiguïté du champ embrassé par l’appareil, nous venons d’organiser un dispositif spécial permettant de prendre des vues circulaires, et de reproduire de façon parfaite l’aspect général et complet de chacune des parties les plus pittoresques de l’Exposition. » Georges Méliès, cité par Jacques Malthête dans « Les Vues spéciales de l’Exposition 1900 tournées par Georges Méliès », 1895, Revue de l’association française de recherche sur l’histoire du cinéma n°36.

« Hugo Cabret », un voyage dans le cinéma

Le meilleur film de Martin Scorsese depuis des lustres, première véritable réussite hollywoodienne en 3D depuis Avatar, est une réussite totale.

Trois événements en un seul film, c’est plutôt rare. Le premier événement est que voici une heureuse réussite dans le genre à peu près impossible du «film de Noël», film pour enfants apte à attirer tous les publics sans se vautrer dans la niaiserie et le kitsch.

Vif, facile à suivre mais riche de rebondissements qui ne cessent de dévier le film de sa trajectoire, bondissant dans le temps aussi bien que dans l’espace, Hugo Cabret est un tour de force dans le registre difficile du produit de qualité pour fêtes mondiales de fin d’année. C’est aussi, deuxième événement, le meilleur film de fiction de Martin Scorsese depuis plusieurs lurettes.

Sous son costume (parfaitement légitime) de distraction grand public, c’est un passionnant agencement de thèmes essentiels qui traversent l’œuvre de l’auteur de Mean Streets et des Affranchis. Solitude et reconstruction à tout prix d’une communauté, opacité du passé et impact décisif de l’enfance, immaturité, fétichisme, fascination pour la technique et les archétypes imaginaires règlent cette virée entre songe et réalité comme ils ont organisé polars, comédies, films fantastiques et adaptations littéraires par le passé.

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