Trop de films en France, oui, mais lesquels ?

Désormais relayée par les grands médias, l’idée se répand que trop de films seraient produits en France. Sous cette affirmation se dessinent d’inquiétantes stratégies.

Elle l’a dit au détour d’une phrase, mais Le Monde a cru bon d’en faire le titre de l’entretien, et de mettre la citation à la Une de son édition du 24 avril. Relayant ce qui se répète désormais fréquemment dans la profession, Catherine Deneuve accompagnant la sortie de L’Adieu à la nuit d’André Téchiné énonce un constat de bon sens : « On tourne trop de films en France ».

Mais sous cette affirmation d’ensemble, les hommes d’affaires du cinéma français ont entrepris d’inquiétantes grandes manœuvres.

Le phénomène à présent dénoncé ne date pas d’hier. C’est au cours des années 1990 que le volume moyen de production de longs métrages dits « d’initiative française » (production complètement ou majoritairement française) a doublé, passant d’une moyenne quasi stable depuis des décennie d’une centaine de titres par an à toujours plus de 200 à partir de 2010 – ils sont 237 en 2018.

Ce « boom », à nombre d’écrans pratiquement constant, et avec une bien réelle augmentation du public mais dans des proportions nettement plus faibles, s’explique principalement par des possibilités de financements accrus.

Politiques publiques quantitatives

Ces augmentations de ressources, qui vont se poursuivre, sont dues aux politiques publiques, avec notamment l’ajout aux anciennes sources du compte de soutien géré par le Centre national du cinéma (CNC) (taxe sur les billets, sur les télévisions et sur la vidéo) de la taxation des fournisseurs d’accès à internet, les apports des nouveaux services télévisuels (chaînes de la TNT, Orange), l’ajout de financements régionaux, le crédit d’impôt.

Ardemment soutenus, sinon suggérés par la profession, ces changements ont pratiquement tout misé sur le quantitatif. Selon la doxa gestionnaire, les statistiques disaient la santé du cinéma national: ça augmentait donc c’était bon.

Le ventre mou de comédies et de polars fabriqués à la chaîne a gonflé, encombrant écrans et dispositifs de soutien.

À l’époque, et l’auteur de ces lignes en a fait à plusieurs reprises la cuisante expérience pour l’avoir affirmé il y a plus de dix ans (en particulier en 2006 et 2007), il ne faisait pas bon dire qu’on produisait trop de films en France: les porte-parole de la profession ne manquaient pas de se draper dans l’étendard de la liberté d’expression (mieux cotée dans ces milieux que la liberté d’entreprendre) et de dénoncer la censure qui voulait empêcher de s’exprimer les grand·es artistes du présent et du futur.

Il en résulte que le nombre de films où peut se déceler une ambition artistique n’a pas bougé et que le ventre mou de comédies et de polars fabriqués à la chaîne a gonflé, faisant de l’ombre aux précédents, encombrant les écrans et les dispositifs de soutien.

Le cinéma d’auteur en France, qui est –il faut apparemment le rappeler– la raison d’être des dispositifs publics relevant d’un ministère de la Culture, s’en est moins bien porté, la situation des meilleur·es cinéastes français·es est plus difficile aujourd’hui qu’il y a quinze ans et on a du mal à voir émerger de nouveaux cinéastes dignes de ce nom. (…)

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«Ecole et cinéma» ou salles indépendantes : des changements qui abiment un système vertueux et efficace

Plusieurs événements récents témoignent d’inquiétantes dérives dans l’action publique à propos du cinéma.

Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, et Franck Riester, ministre de la Culture et de la Communication, viennent de recevoir le même courrier. Cette lettre les alerte sur la mise en danger d’un dispositif dont ils ont ensemble la tutelle et qui concerne chaque année un million d’enfants en France.

Destiné aux élèves de maternelle et d’école primaire, «École et cinéma» est, avec «Collégiens au cinéma» et «Lycéens et apprentis au cinéma», un des trois dispositifs qui accompagne durant tout le parcours scolaire la relation au cinéma, non comme une «matière» à apprendre mais comme une ressource de formation.

Créé en 1994, doyen des dispositifs, «École et cinéma» est depuis sa naissance piloté par l’association Les Enfants de cinéma. Celle-ci coordonne un réseau de milliers d’enseignants volontaires, en concertation avec les salles indépendantes des villes, quartiers et bourgades concernées, pour la découverte des films destinés à ouvrir l’esprit et à associer plaisir et réflexion.

La progression du nombre d’élèves ayant participé au dispositif École et cinéma | Site des Enfants de cinéma

De manière discrétionnaire et au sortir d’un «appel à initiative», le Centre national du cinéma (CNC) a décidé dans une décision rendue publique le 7 décembre 2018 de détruire «Les Enfants de cinéma», en confiant désormais le dispositif à une autre association, Passeurs d’images, opportunément créée quelque mois auparavant (en juin 2018) en reprenant le nom d’un –très légitime– dispositif d’initiation au cinéma hors temps scolaire.

Pourtant, le travail d’Enfants de cinéma n’a jamais fait l’objet d’évaluation négative. Mieux, le même CNC lui avait proposé en 2017 de reprendre également le pilotage de «Collégiens au cinéma».

Au terme de cette procédure opaque («l’appel à initiative» n’a aucune existence juridique, la proposition de Passeurs d’image n’a jamais été rendue publique[1]) et expéditive, la décision met en danger le réseau aussi riche que fragile d’investissements personnels sur le terrain qu’a suscité «Les Enfants de cinéma» et menace l’esprit même des dispositifs. Il inquiète également quant au sort de l’excellente plateforme numérique mise en place par Les Enfants de cinéma, Nanouk.

La catégorie fourre-tout de «l’image»

La lettre envoyée aux deux ministres, cosignée par de nombreux cinéastes, professionnels de l’éducation et acteurs de l’«action culturelle», s’alarme de ce coup de force et demande que la décision soit au moins suspendue et réexaminée.

Trois affiches récentes éditées par des membres du dispositif «École et cinéma».

Faute de clarification, cette décision apparaît aujourd’hui comme la convergence entre une volonté autoritaire du CNC de contrôler un dispositif qui pourtant fonctionnait bien et les intérêts d’un groupe professionnel puissant, les exploitants de cinéma, qui apprécieraient que les choix de films ressemblent plus à ce qu’ils diffusent dans leurs multiplexes.

Aux côtés du président de Passeurs d’image, le réalisateur Laurent Cantet dont on veut croire que d’autres occupations (ses propres films) l’accaparent davantage, on trouve en effet comme vice-président Denis Darroy, un proche de Richard Patry, le président de la Fédération des exploitants de salles, poids lourd de l’industrie.

La présentation de Passeurs d’images sur son site montre en tout cas un risque évident de dilution des objectifs de l’éducation avec le cinéma, sous la catégorie fourre-tout de «l’image».

On y perçoit fort bien les effluves de ce brouet où se mélangent films, séries et jeux vidéo, mixant caméras et téléphones portables, salles et ordinateurs, avec une complaisance démagogique pour les formes les plus aguicheuses, paresseuses et commerciales. Pas exactement ce qu’on est en droit d’espérer d’un projet d’enseignement.

Abordage meurtrier à Quimper

Une autre histoire, complètement différente, mais issue du même état d’esprit. Depuis sa naissance en 1982, l’association Gros Plan Cinéma anime la cinéphilie à Quimper et dans sa région. Jusqu’en 2012, elle s’appuie sur le cinéma municipal Le Chapeau rouge, fréquenté par un public nombreux et enthousiaste. Le lieu devient aussi un point de passage régulier de tout ce que la France compte de réalisateurs d’art et essai et de passeurs impliqués dans la transmission de cinéma. (…)

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«Quiet People», un film paisible –donc maltraité

Sensible et intense, le récit du beau film d’Ognjen Svilicic fait tristement écho au destin promis à cette œuvre auprès du public.

Photo: Maja et Ivo (Jasna Zalica et Emir Hadzihafizbegovic), ces «gens paisibles» de Zagreb et de partout.

Rien ne justifie que ce film croate sorte en France avec un titre anglais. Mais surtout, rien ne justifie qu’un beau film comme celui-ci sorte dans des conditions aussi précaires: une séance par jour, dans une seule salle parisienne.

Il n’est pas le seul à subir semblable traitement, dira-t-on. C’est exact mais, outre que celui-ci est une réussite de cinéma qui rend particulièrement injuste cette obscurité, il se trouve que ce que raconte le film fait étrangement écho à sa propre situation.

 

Tragédie qui déchire le quotidien

Ivo et Maja sont un couple sans histoire; lui est conducteur de bus, ils habitent un HLM de Zagreb, ont un grand adolescent de fils. Un jour, une tragédie brutale, imprévisible, déchire la trame de leur quotidien.

Ils vont faire face comme ils peuvent à ce qui leur tombe dessus. Ils ne vont pas se mettre à se comporter comme Bruce Lee ou Liam Neeson. Ils ne vont pas se transformer en vengeurs masqués ou en superhéros.

Ils «font ce qu’il faut», vont voir les personnes et les institutions qu’on est censé aller voir lorsque son fils est agressé violemment, puis se trouve dans le coma: l’hôpital, les médecins, la police, les professeurs.

Leur douleur, leur violence est à la mesure de ce qu’ils sont, de ce qu’une tragédie ne les fait pas cesser d’être: des gens paisibles.

Maja, la mère, essaie de comprendre.

Sort injuste

Mais voilà, le scénariste et metteur en scène s’appelle Ognjen Svilicic, les comédiens Emir Hadzihafizbegovic et Jasna Zalica. Vous ne les connaissez pas? Moi non plus. Vous trouvez leurs noms difficiles à prononcer et à mémoriser? Moi aussi. Et alors? Depuis quand cela devrait être une raison pour qu’un film soit confiné à une pénombre injuste?

Cette injustice d’un état général du monde face auquel les protagonistes ne sont pas armés pour lutter est aussi –toutes proportions gardées– celui du film lui-même. Quiet People est un «quiet film», que ne dispose ni du budget publicitaire massif, ni de la célébrité de son auteur ou de ses acteurs pour exister dans l’environnement du cinéma actuel.

Ivo, le père, tente de réagir. Mais comment?

Pourtant Svilicic n’est pas un complet inconnu: Quiet People est son cinquième long métrage, il a été sélectionné et primé dans nombre des plus grands festivals du monde (Venise, Busan, Thessalonique…).

Mais une séance quotidienne dans une seule salle –Le Saint-André des Arts, qui avec beaucoup de courage joue les sauveteurs en mer de nombreux films menacés de noyade– est un sort comparable à celui d’Ivo et Maja, frappés par une injustice venue de «nulle part».

Part d’ombre dans un bilan positif

Le cas de Quiet People est tristement exemplaire d’une situation qui ne cesse de se dégrader. Le 27 avril dernier a eu lieu au siècle du Centre national du cinéma la présentation du bilan pour l’année 2017.

La cérémonie a donné lieu à un déferlement de communiqués de victoire et de statisfécits (auto)décernés au cinéma, au cinéma français, au cinéma en France et à l’administration qui s’en occupe. C’est que tous les chiffres annoncés étaient en effet très largement positifs. (…)

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Ressources en ligne pour apprendre le cinéma

Alors que le grand chantier de l’enseignement artistique est loin d’avoir produit les effets espérés, l’activisme de terrain des enseignants en cinéma et des associations trouve des relais féconds sur la toile.

On ne pourra en tout cas pas reprocher aux candidats à la présidentielle de soûler leurs auditoires avec des propositions en matière de politique culturelle. Après avoir tenu un rôle important dans les discours et dans les actes des responsables politiques durant les années 1980-2005, l’action publique dans le domaine des arts n’a cessé de s’estomper pour ne devenir depuis dix ans qu’une variable d’ajustement des restrictions budgétaires.

Cette quasi disparition, concernant un secteur producteur de richesses aussi financières (83,6 milliards d’euros) et qui est un important bassin d’emploi (1,3 million), selon un récent rapport, était déjà perceptible lors de la précédente campagne. Pourtant, le candidat François Hollande avait inscrit une question de culture dans ses «grands chantiers», l’éducation artistique.

Malgré un geste législatif et budgétaire, le moins qu’on puisse dire est qu’en la matière, on n’a pas assisté à des développements spectaculaires au cours du quinquennat. Il serait injuste de prétendre que rien n’a été fait, comme l’atteste un récent rapport parlementaire.  Mais, tout ce quinquennat et ses impasses en témoignent dramatiquement: une politique ce n’est pas qu’une série de mesures techniques. C’est un discours, un engagement, un élan. De ce côté, le bilan est maigre, et surtout invisible.

Les élèves de la terminale option cinéma du Lycée Frédéric Mistral d’Avignon en plein tournage. (Photo P. Bastit)

Et  l’annonce d’un programme ambitieux en la matière par trois ministres (Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, et Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports) en conseil des ministres du 1er février 2017 apparaît pour le moins tardive.

Pourtant, des pratiques d’enseignement artistiques innovantes, passionnantes, diversifiées sont repérable sur le terrain. C’est notamment le cas des enseignements du cinéma à l’école («l’école» désignant ici l’ensemble du parcours scolaire, de  la maternelle à la terminale). En précisant  qu’il s’agit bien ici de cinéma, et non pas de «l’image», notion fourre-tout, paresseuse et dangereuse, comme le dénonce à juste titre un des nombreux acteurs de ce domaine, l’association Plan Libre Cinéma.

Les grands dispositifs

Les principaux dispositifs en matière de présence du cinéma dans le monde scolaire restent École et cinéma, Collège au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma  coordonnés par le Centre national du cinéma (CNC), l’Éducation nationale et les collectivités territoriales.

Le dispositif qui s’adresse aux plus jeunes (maternelle et école communale) est mis en œuvre sur le terrain par l’association Les Enfants de cinéma, qui vient de faire paraître un impressionnant bilan de vingt ans d’action, École au cinéma 1995-2015.

Une des principales figures de ce dispositif, Carole Desbarats, y rappelle les enjeux de la présence du du cinéma au sein de l’école:

«Le cinéma n’a pas à être défendu contre la télévision ou la littérature. Il a être revendiqué parce que partie prenante des humanités modernes (…) [en l’absence d’éducation au cinéma] on condamne ceux qui ne sont pas des héritiers à ne voir que des produits industriels, à être abreuvés de junkfilm comme l’industrie agro-alimentaire les abreuve de junkfood

Un tel discours combattif s’adresse aussi bien aux autorités académiques (rectorat, inspection, rédacteurs des programmes) qu’aux proviseurs mais aussi aux enseignants, loin d’être tous conquis, et aux parents.

La place réelle et la dynamique du cinéma au sein des dispositifs scolaires repose en effet encore très largement sur l’engagement personnel, au-delà des exigences minimum de métiers dont on sait par ailleurs les contraintes considérables. (…-

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« Au nom de tous » : Olivier Assayas sur ce que les cinéastes doivent aux responsables de l’action publique

Le 19 janvier a eu lieu à La fémis un hommage à l’ancien directeur de l’école de cinéma, Marc Nicolas, mort le 21 décembre à 59 ans. A cette occasion, Olivier Assayas a dit ce que l’action publique aux côtés du cinéma signifiait à ses yeux lorsqu’elle est à son meilleur, ce meilleur que Marc Nicolas aura incarné toute sa vie.

« Je suis certainement, parmi ceux qui ont parlé ce soir de Marc Nicolas, celui qui l’a le plus mal connu. Je n’ai pas travaillé avec lui, je n’ai été ni son élève ni son interlocuteur. Je suis aussi le seul cinéaste, mis à part ses étudiants, (à prendre la parole ici) et si je tiens à lui exprimer mon amitié et ma gratitude c’est que je sais, j’ai toujours su, que Marc Nicolas travaillait, au fond, pour moi, et pour tous les autres cinéastes, au nom d’une haute idée du cinéma dont il était conscient, plus qu’aucun autre, de combien elle était précieuse, de combien elle était fragile.

J’ai souvent croisé Marc, dans la vie et dans ses fonctions, et j’ai toujours été sensible à ses qualités humaines, d’écoute, d’attention à autrui – et chaque fois je l’ai trouvé engagé dans une réflexion à la fois sur le présent et sur le devenir du cinéma qui lui était devenue consubstantielle. Il était l’un des rares à savoir articuler un amour et une connaissance du cinéma à la fois passé, présent et à venir avec une maîtrise des arcanes de sa législation, de ses règles, des soutiens qui en supportent l’édifice.

Si j’ai le privilège d’être un cinéaste français, c’est à dire issu d’une culture de cinéma riche, multiple, profondément ancrée, et déterminée par la liberté, liberté de chercher, d’essayer, liberté de constamment réinventer le cinéma, je sais que c’est à une idée qui parcourt l’histoire du Septième Art que je la dois et qui sans doute se formule, se révèle dans toute son ampleur avec l’avènement de la Nouvelle Vague.

Je sais aussi combien cette idée n’est pas seulement née d’elle-même mais que si elle est parvenue jusqu’à moi, jusqu’à nous, aujourd’hui, pour que nous la protégions et la transmettions intacte, véritable trésor national, aux générations à venir, nous le devons au dévouement, à la vigilance, à l’abnégation aussi, de politiques, de haut fonctionnaires qui se la sont appropriée, qui s’y sont identifiés. Pour ma génération Marc Nicolas en était l’incarnation.

Je veux dire par là qu’il en était la pensée en action. Jamais gardien du Temple, jamais défenseur réactionnaire d’un ordre établi (aussi précieux cet ordre soit-il), ou de valeurs fossilisées, jamais imbu d’une quelconque légitimité auto-proclamée, il était sensible, attentif aux évolutions, aux mouvements souterrains du cinéma, à une époque de constante réinvention, de bouleversement du monde des images et des modes de lecture de celles-ci. Il estimait qu’il était de son devoir d’en être le guetteur, de les lire, de les comprendre, de les anticiper pour contribuer, et selon ses grands talents, à défendre constamment, pied à pied, la ligne de front du cinéma auquel il croyait, un cinéma exigeant, à la fois témoin du monde et audacieux dans son exploration des méandres de l’humain autant que de son imaginaire.

Marc Nicolas connaissait les enjeux du futur parce qu’il savait scruter la transformation de nos sociétés, parce qu’il savait combien chaque époque a le devoir, et la nécessité, non seulement de protéger les acquis de l’histoire, mais aussi de les reformuler selon les circonstances du présent et en ce sens il était dans le meilleur ordre des choses qu’il porte seize ans durant la responsabilité de la FEMIS où se constitue le cinéma français de demain, défini par les enjeux cruciaux du devenir du cinéma mondial, ce qu’il sera, où et comment on le regardera, et comment il restera ancré dans son précieux rapport à son public le plus populaire, à son public historique. Non, le cinéma n’a pas vocation à se refermer sur lui-même. Non, il n’est pas fatal que son public le plus jeune s’identifie exclusivement au cinéma américain.

La clairvoyance de Marc tenait à son excellente connaissance d’un système vertueux qu’il a grandement contribué à définir et à sa lucidité quant aux dangers qu’il affronte au jour le jour, et ceux que lui réserve le futur. C’est à les déjouer qu’il a voulu préparer ses étudiants.

Ce n’est pas seulement en mon nom que je veux saluer Marc ce soir, que je veux dire ma gratitude, c’est au nom de tous les cinéastes, ceux qui sont là et ceux qui ne sont pas là. Ceux qui savent ce qu’ils lui doivent et ceux qui l’ignorent. Car c’est eux aussi qu’il a défendus, avec modestie, discrétion et détermination. »

 

Cinéma: enfin un acte politique!

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Avancée importante au service de la diversité, l’accord sur les engagements de programmation et de diffusion signé à Cannes par l’ensemble des professionnels grâce à l’action des pouvoirs publics renoue avec une politique culturelle active dont on avait perdu le souvenir.

Pas très visible au milieu des fastes du tapis rouge, des débats cinéphiles et aussi de nombreuses autres annonces officielles de moindre portée, un accord important a été signé durant le Festival de Cannes. Il y a eu depuis des années tant de raisons de pointer le manque d’initiative forte des pouvoirs publics au service de l’intérêt commun dans ce secteur pour ne pas saluer l’événement.

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Paraphé  par l’ensemble des organisations de professionnels –réalisateurs, scénaristes[1], représentants des acteurs, producteurs, distributeurs et exploitants, des plus gros aux plus petits–, ce texte représente une avancée significative en matière de diversité de l’offre dans les salles, c’est-à-dire aussi de protection de la diversité des salles elles-mêmes.

Dans un contexte national où la négociation semble impossible, cet aboutissement d’une concertation n’a pas été sans heurts, notamment lors de la tentative de passer par la loi au début de l’année (il semble que l’intervention d’Audrey Azoulay ait alors permis de débloquer la situation), mais est d’autant plus remarquable. (…)

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Cinéma français: le feu au chateau

Ce serait un beau château d’apparence prospère, mais où couve un incendie. En apparence, le cinéma français se porte bien, il vient à nouveau d’annoncer une fréquentation record en ce début d’année, sa production est au plus haut, il gagne des prix dans les festivals, le monde entier lui envie son dynamisme et sa diversité. Et pourtant.

Tout cet agencement complexe et finalement fécond repose sur le pari, vieux comme Malraux, de la singularité du secteur (le cinéma ce n’est pas de la télé, pas du jeu vidéo, pas du multimédia) et son unité (aussi différents soient-ils, les blockbusters et les films d’auteur relèvent du même univers, la prospérité économique des uns et l’inventivité artistique des autres contribuent au bien commun).

Ce sont ces fondations qui sont de plus en plus remises en question. Et la guérilla politico-médiatique qui s’est allumée la semaine dernière en témoigne en même temps qu’elle risque de l’aggraver considérablement. Déjà bien présent, le risque d’une cassure du dispositif d’ensemble est de plus en plus menaçant.

L’affaire semble technique et financière, elle est politique, et artistique. Le projet de Loi relatif à la Liberté de Création, à l’Architecture et au Patrimoine vient de revenir en discussion à la Chambre des députés, porté désormais par Audrey Azoulay. Parmi de très nombreuses autres dispositions, ce projet avait en première lecture fait l’objet d’un amendement du gouvernement autorisant entre autres la mise en place d’une régulation dans l’accès aux films par les salles, et aux salles par les films. Supprimé par les sénateurs, cet amendement a été rétabli par le gouvernement jeudi 17 mars, mais sans la clause concernant cette possibilité de régulation.

Aussitôt, l’ensemble des représentants de la production et de la distribution indépendante s’est insurgé contre cette suppression, dénonçant le recul devant le lobbying des grands circuits.

L’affaire tombait d’autant plus mal que le lundi 21 débutait une vaste négociation entre professionnels sous l’égide des pouvoirs publics, précisément sur le volet distribution-exploitation, suite lointaine mais décisive de la concertation lancée en 2013 après les polémiques déclenchées par une déclaration du producteur Vincent Maraval.

Les protestataires –associations de réalisateurs, de producteurs et de distributeurs indépendants– ont claqué la porte de ces Assises du cinéma dès le début, déclarant n’avoir reçu aucune réponse satisfaisante du cabinet et du CNC. La SRF, syndicat des réalisateurs, a publié un communiqué intitulé «Consternés et en colère», dont le titre résume l’ambiance.

Quel est le débat? En apparence, c’est simple, les gros circuits et les gros distributeurs veulent pouvoir inonder le marché des produits les plus porteurs, tous les autres essaient d’endiguer cette tendance bien réelle, qui a déjà de facto mis en place un cinéma à deux vitesses, même si la régulation fait comme si ce n’était pas le cas, et dans une certaine mesure en compense les pires effets.

Dans un communiqué où elle félicite la ministre d’avoir supprimé le paragraphe concernant le contrôle de la programmation, la FNDF (qui regroupe Gaumont, Pathé, UGC, MK2, les filiales françaises de majors américaines…) insiste sur des effets selon elle dangereux de la version initiale de l’amendement.

Se posant elle aussi en défenseur de la diversité, elle affirme que «de tels engagements de diffusion auraient porté bien entendu en priorité sur les films les plus demandés par les exploitants: films commerciaux et films art et essai dits porteurs, et auraient donc eu pour effet de réduire plus encore l’accès au marché des films de la diversité en augmentant gravement les difficultés de programmation de l’ensemble des TPE de notre secteur.»

Cet argument repose sur la demande massive de films à fort potentiel par de nombreux cinémas, et pas seulement par les grands circuits. De fait, les indépendants ne sont pas tous du même côté: les salles indépendantes sont dans leur grande majorité les premières à se battre pour obtenir lesdits «films porteurs». Comme ce fut le cas lors de la sortie du dernier épisode de Star Wars. Elles contribuent ainsi à la concentration sur quelques titres au détriment de tous les autres, et ce alors qu’elles ont particulièrement vocation (dûment subventionnée) à assurer la diversité des offres. (…)

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Changer les règles de la censure des films, une périlleuse nécessité

cSur le dossier de la censure, la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication peut se prévaloir d’une incontestable expertise. Audrey Azoulay a dirigé les services juridiques et financiers du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), puis été la n°2 de cette direction du ministère dont elle hérite à présent. Or, il y a urgence, au vu de l’accélération des décisions de justice remettant en cause la procédure de classification des films, suite aux actions de l’association catholique intégriste Promouvoir.

Fleur Pellerin avait commandé à l’actuel président de la Commission de classification, Jean-François Mary, des propositions permettant de répondre à l’offensive du petit groupe d’activistes mené par le juriste André Bonnet, qui fut naguère un proche de Philippe de Villiers puis de Bruno Mégret. Ces propositions étaient attendues en janvier.

L’urgence est d’autant plus grande que, suite aux procédures menées par Promouvoir, ce sont désormais des films qui peuvent à bon droit réclamer le statut d’œuvres majeures de l’art de cinéma qui viennent d’être victimes de la suppression de leur visa d’exploitation, à la suite de jugements du Conseil d’État. La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, palme d’or 2013, et Antichrist, «Fleurs du mal» d’un grand poète moderne de l’écran, Lars von Trier, ne peuvent plus aujourd’hui être présentés nulle part.

En l’état actuel du droit, la seule possibilité pour leur redonner accès à la diffusion est de les classer interdits aux moins de 18 ans, comme cela a été le cas avec les précédentes cibles de Promouvoir: Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, Love de Gaspard Noé et Saw 3 de Kevin Greutert. De 16 à 18 ans, ce n’est pas seulement une tranche d’âge qui n’y aura plus accès mais de multiples possibilités de diffusion, notamment télévisées, qui leur seront fermées.

L’offensive de l’organisation d’extrême droite soulève trois problèmes, un problème juridico-politique, un problème sociétal et un problème artistique. (…)

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La fréquentation des salles de cinéma est excellente. Mais pour quels films?

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Les responsables de la politique culturelle auraient tort de se satisfaire des seules statistiques, qui ne prennent pas en compte quels films ont été vus, et par qui.

A grand son de trompe est donc proclamé le résultat de la fréquentation des cinémas en France en 2014: 208 millions de spectateurs, soit le 2e meilleur résultat depuis 47 ans (211,5 millions d’entrées en 1967 et 217,2 millions en 2011). Ce score, et une augmentation de 7,7% par rapport à l’an dernier, sont en effet de très bons chiffres. Tout comme mérite d’être souligné le rééquilibrage entre les entrées des films français (44%) et américains (45%), alors qu’en 2013 le ratio était de 33 contre 54%.

Des films français occupent les trois premières places du classement, et 9 des 20 premières places (cf. tableau). Il est légitime de s’en réjouir. Mais cela ne devrait pas empêcher de considérer aussi ce que lesdits chiffres recèlent de plus complexe, et ce qu’ils dissimulent.

Fin du catastrophisme

D’abord les bons résultats de l’année contrastent avec ceux de l’année précédente, anormalement bas. Dans un environnement court-termiste prompt à la surenchère, volontiers relayé et amplifié par les médias, que n’avait-on alors entendu sur la catastrophe imminente, la nécessité de mesures d’urgence, etc.? D’habiles batteurs d’estrade en ont profité pour faire avancer quelques dossiers utiles à leurs intérêts. En fait la tendance moyenne sur la décennie est à une stabilisation à un très bon niveau, autour des 200 millions d’entrées par an, ou un peu moins.

Durant cette période, aucun des chiffres –au-dessus ou au-dessous– ne vient remettre en cause cet état de fait, qu’on peut d’ailleurs à bon droit considérer comme la traduction, dans le domaine particulier du volume de fréquentation en salle (qui n’est pas, loin s’en faut, la totalité de l’économie du cinéma) d’une action concertée efficace des pouvoirs publics et des professionnels.

 Au titre des effets de perspective, on peut ajouter le fait que Le Hobbit n’a pas fini sa carrière, et qu’il pourrait prendre pied sur le podium –à une moindre échelle, il est à prévoir que La Famille Bélier va aussi poursuivre sur sa lancée et monter dans le classement.

Par ailleurs, cette année voit aussi la part du reste du monde se réduire à 11% seulement du total. Pourtant le nombre de films ni français ni américains sortis au cours de l’année passée n’a pas baissé. La France s’honore, à bon droit, d’être le pays du monde qui accueille sur ses écrans la plus grande quantité et la plus grande diversité de films venus de toute la planète. Il est très inquiétant que ces films soient, à peine sortis, éjectés des écrans, souvent après n’avoir eu droit qu’à quelques séances.

L’éternel problème de la concentration

Ce phénomène, qui met en cause la diversité culturelle, concerne aussi les films français (et les «petits films» américains). Elle est la traduction d’un processus bien connu de l’économie de marché, la tendance à la concentration.

Car si 36 films français ont attiré plus d’un million de spectateurs au cours de l’année, la grande majorité des quelque 210 productions végètent très loin, avec un effet de paupérisation de ceux qui ne rentrent pas dans le moule du grand commerce immédiat, effet dénoncé sans relâche par les producteurs indépendants. (…)

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La censure de «Nymphomaniac» trahit des vues doublement archaïques

Les récentes décisions de la justice administrative d’interdire les deux parties du film aux moins de 16 et 18 ans reflètent la montée d’un activisme sur les moeurs, mais aussi un rapport problématique au «réel» dans le cinéma.

nymphomaniac_0Les 28 janvier et 5 février, le tribunal administratif statuant en référé (procédure d’urgence) a désavoué la ministre de la Culture en imposant de modifier les interdictions concernant Nymphomaniac Volume 1 et Volume 2, les deux parties du nouveau film de Lars von Trier. A la suite des plaintes déposées par l’association Promouvoir, le même juge, monsieur Heu, a imposé de remplacer l’interdiction aux moins de 12 ans du premier par une interdiction aux moins de 16 ans, et l’interdiction aux moins de 16 ans du second par une interdiction aux moins de 18 ans.

Economiquement, cette deuxième mesure est celle qui a les effets les plus nets, dans la mesure où elle restreint les conditions de diffusion du film à la télévision, conditions négociées entre la production et le diffuseur sur la base de l’ancienne autorisation.  Cet événement s’inscrit dans un contexte particulier et soulève deux problèmes très différents.

Le contexte est celui d’une montée générale d’activisme dans le sens d’une censure des mœurs, portée par des associations d’extrême droite dans le domaine de la culture, en phase avec la mobilisation réactionnaire initiée par le refus du mariage gay et qui s’est depuis largement étendue: la demande d’interdiction du film Tomboy dans les programmes «Ecole et cinéma» puis sur Arte (à laquelle a répondu une audience exceptionnelle pour le film), les exigences répétées de l’exclusion de certains ouvrages des bibliothèques publiques, y compris par l’intervention de commandos interpellant les personnels, en ont été les épisode récents les plus marquants –sans oublier la fabrication par Jean-François Copé d’une «affaire Tous à poil», à propos d’un ouvrage prétendument promu par l’Education nationale.

Pour ce qui est de Nymphomaniac, les jugements sont des suspensions des précédentes classifications et pas des décisions définitives, celles-ci devant faire l’objet de jugements au fond, pour lesquels professionnels et responsables du ministère et du CNC fourbissent leurs arguments. Mais, même si le tribunal devait finalement annuler les décisions de la première instance, deux problèmes restent posés.

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