La main d’une des anciennes prisonnières, tandis qu’elle nomme ses camarades d’alors, pour la plupart condamnées à mort par l’occupant colonial.
À partir d’images retrouvées d’une libération lointaine, Raphaël Pillosio ouvre la mémoire et l’imagination autour de femmes et d’idées depuis longtemps enfouies.
Elles ont réapparu un jour. Qui, elles? Et aussi, quoi, elles? Quoi? Des bobines de film. Mais pas seulement. Des personnes. Et des histoires.
Parce qu’il y avait eu un homme, il s’appelait Yann Le Masson. Avec quelques autres, très peu, il avait été de celles et ceux qui aidèrent le peuple algérien à conquérir, au prix d’immenses souffrances, son indépendance. L’indépendance n’est ni la liberté ni le bonheur, mais ça c’est leur affaire, à ceux qui se sont battus pour ce qu’ils souhaitaient et méritaient.
Citoyen français, Yann Le Masson a fait son devoir de citoyen, en aidant ceux qui se battent pour leur légitime citoyenneté. Réalisateur et caméraman, il l’a fait entre autres en filmant, quand filmer pouvait aider. Cela lui a surtout valu des ennuis dans son pays.
Longtemps plus tard, l’âge venu, le même Yann Le Masson vivait sur une péniche. Et un jour, donc, il a trouvé des boîtes de pellicules, déposées sur le pont de sa maison flottante amarrée sur un quai du Rhône. Ce qu’il y avait sur ces pellicules, c’est lui qui l’avait filmé. Longtemps, longtemps avant.
Il avait presqu’oublié qu’il avait enregistré ces visages de jeunes femmes, sorties des geôles françaises en avril 1962, juste après la signature des accords d’Évian (18 mars 1962). Incarcérées à la prison de Rennes, ces combattantes de l’indépendance de leur pays, emprisonnées, certaines torturées, venaient d’être ramenées à Paris par leurs soutiens français, dont Yann Le Masson, avant de repartir en Algérie. Lors d’une réunion dans un appartement de la capitale, il les a donc filmées.
Passage de flambeau
Et puis les films ont disparu. Elles aussi, ces jeunes femmes, ont «disparu», au moins au sens où aucune n’est devenue une figure visible dans son pays, contrairement à de nombreux hommes ayant participé au combat pour l’indépendance.
Et voilà que, comme dans un conte ou une chanson, elles lui revenaient du passé. Mais il était trop vieux à présent pour en faire quelque chose, malgré l’envie qu’il en avait.
Heureusement, comme dans un conte ou une chanson, il y avait quelqu’un d’autre, plus jeune. Celui-là venait de faire un film sur les gens de cinéma –René Vautier, Olga Poliakoff, Cécile Decugis, Pierre Clément… et bien sûr Yann Le Masson– qui avaient dans ces années-là aidé la lutte des Algériens, Algérie, d’autres regards (2004). Celui-là, qui s’appelle Raphaël Pillosio, réalisateur et producteur de documentaires, a repris le flambeau.
Et voici donc aujourd’hui son film, cet objet troublant qui en résulte, aux confins de la recherche historienne et de la légende quasi mythologique. Parce que les boîtes réapparues contenaient les images, mais pas les sons. Pas les voix de ces jeunes femmes, une vingtaine, réunies à Paris dans la joie de leur toute fraîche libération et qu’on sent si proches entre elles des combats menés, y compris ensemble dans la prison.
Il y a des hommes aussi, deux, dans le fond: on ne saura ni qui ils sont ni ce qu’ils font là, ils n’interviennent pas. Elles, elles parlent. Elles rient aussi, elles se regardent, se prennent par le bras ou aux épaules. On perçoit que parfois la parole est véhémente ou murmurante, volubile ou retenue. Dans la présence de ces visages juvéniles, lumineux de 1962 et dans le silence imposé par la perte de l’enregistrement sonore, se déploie un imaginaire, une mémoire, mille et une histoires.

Sur un des plans tournés en 1962, la plupart des jeunes Algériennes tout juste sorties de prison. | JHR Films
Images du passé, enquête au présent
Ces très beaux plans en noir et blanc, en groupe ou isolant un visage, auxquels ne se substitue nulle voix off, accueillent en contrepartie des mots absents une attention et une affection. Disons, une possibilité de projection qui intensifie la relation de tout spectateur, de toute spectatrice à ces personnes dont on sait très peu. (…)






À l’heure du référendum sur l’autodétermination qui ouvre la voie à l’indépendance, les harkis et leur officier (Théo Cholbi) face à l’angoisse du sort de ceux qui ont porté l’uniforme de la puissance coloniale. | Pyramide Distribution
Albert, qui revendique des choix personnels parfois difficiles, mais où il s’est affirmé. | Shellac Distribution
Rémi Gendarme-Cerquetti (à gauche) filme Sophie Pichot, une autre des anciennes de l’hôpital de Garches. | The Kingdom
Teta (Clémence Sabbagh), Alex (Paloma Vauthier) et Maia (Rim Turki) dans le confort de leur maison au Canada, que vient troubler l’irruption de la boîte. | Haut et Court
Maia adolescente et Raja, quand les emballements de la jeunesse se mêlaient à l’omniprésence de la guerre. | Haut et Court
Quelque part, quelqu’un – un humain plutôt qu’un amas de pixels. | DHR / À Vif
La quête à la fois individuelle et collective d’Ernesto. | Pyramide Distribution
La séquence du procès, avec, au centre, Ernesto et sa mère (Emma Dib). | Pyramide Distribution