Entre Nadia (Paula Beer) et Leon (Thomas Schubert) des distances plus grandes et plus diverses qu’il n’y parait.
Le nouveau film de Christian Petzold réunit avec acuité, tendresse, humour et cruauté de jeunes amis dans une maison près de la mer, le temps d’un été où se jouent plusieurs drames simultanés, dont les immenses feux de forêt qui ravagent la région.
«Il y a un truc qui cloche», dit Felix. Ce sont les premiers mots du film. Un film qui serait comme entièrement construit sur des ratés, des malentendus, des négations, mineures ou pas. Ils sont deux jeunes hommes dans la Mercedes rouge. Felix n’est… pas blanc, Leon n’est… pas mince. La voiture n’est… pas en état de les amener jusqu’à la maison de la mère de Felix, au bord de la Baltique. La maison n’est… pas vide, contrairement à ce que croyaient et espéraient les deux garçons.
La jeune femme qui s’y trouve et qui est d’abord invisible, puis présente seulement par les sons de son étreinte de l’autre côté du mur, n’est pas russe, contrairement à ce que croit d’emblée Leon, pas non plus uniquement vendeuse de glaces, contrairement aux apparences.
Le garçon musclé qui partageait avec effusion la couche de Nadia n’est pas maître-nageur, même s’il trône au bord de la plage sur un fauteuil surélevé. Devid n’est pas, non plus, le beauf bellâtre qu’il semblait être, ni aussi straight qu’il paraissait. Et, bien sûr, l’incendie qui ravage les forêts alentours et rougit le ciel à l’horizon ne menace pas la maison. Ou alors, c’est l’information répétée par les autorités qui n’est pas si certaine.
Épicentre en déséquilibre
Le Ciel rouge, nouveau long-métrage de l’auteur d’Ondine dans lequel on retrouve Paula Beer, toujours parfaite –mais elle n’est pas, en tout cas en apparence, au centre du film–, se développe ainsi sur ces creux, ces décalages, ces interstices. Et c’est dans une très large mesure ce qui lui donne cette émotion instable, proliférante tout en se reconfigurant constamment, qui fait qu’il échappe à toutes les rigidités et à tous les conformismes romanesques qui auraient pu le figer.
Entre Felix (Langston Uibel), Devid (Enno Trebs), Leon (Thomas Schubert) et Nadia (Paula Beer), de multiples jeux et tensions, auxquels viendra se joindre l’éditeur (Mathias Brandt). | Les Films du Losange
L’épicentre en déséquilibre du Ciel rouge est le jeune écrivain Leon, qui termine un deuxième roman. Il attend son éditeur, dont il sait qu’il lui dira que c’est raté. Et il ne sait pas que faire de son corps lourd, ni comment répondre à la gentillesse de Nadia, à l’énergie de Felix ou à celle, toute différente, de Devid.
La maison, la mer, la forêt, la littérature
La maison, la mer, la forêt, la littérature sont autant d’arrière-plans. Ce ne sont ni seulement des horizons lointains ni tout à fait des cadres définissant les limites des actions. Mais c’est bien en eux, et pour partie à cause d’eux, que l’incertain Leon déplace son existence empruntée, dont le mal-être se rebelle en agressivité injuste contre les uns et les autres, contre l’une surtout.
Pourtant, le quinzième long métrage de Christian Petzold, dont on sait depuis un bon quart de siècle qu’il est un des plus importants réalisateurs allemands en activité, ne peut en aucun cas se résumer au portrait d’une névrose d’artiste. La mise en scène ne cesse d’inscrire le parcours de Leon, à la fois concret, narratif et mental, dans la dynamique d’aventures bien plus vastes, de présences bien plus amples.
Cette mise en scène, dont fait évidemment partie le jeu des acteurs, tous remarquables par les nuances et les sous-entendus de leur interprétation riche de multiples harmoniques, fait résonner de multiples échos. Ceux-ci relèvent du conte de fée, du récit d’horreur, de la romance estivale, de l’onirisme, de la fable apocalyptique aux traductions ô combien réalistes qu’alimentent les véritables incendies filmés et leurs effets sur les humains et les autres vivants. (…)
Trois des autres interlocutrices de l’écrivain (Emmanuelle Devos, Anouk Grinberg, Rebecca Marder). | Captures d’écran de la bande annonce







