Le démiurge visionnaire joué par Adam Driver, ou Francis Ford Coppola lui-même, prêt à affronter les plus grands vertiges, au risque de l’envol ou de la chute. |
Titre le plus attendu de cette édition du Festival, le vingt-quatrième film de Francis Ford Coppola est une œuvre monstre, qui joue de ses excès tout en se confrontant à la fois au mythe et à l’actualité.
Depuis l’ouverture du Festival de Cannes, ce sont déjà des dizaines de films qui y ont été présentés, dont certains bien intéressants. Peu importe, jeudi 16 mai était le «FFC Day» et le reste attendrait. FFC pour Francis Ford Coppola, bien sûr. Avec Megalopolis, présenté en compétition officielle, tout se joue à une échelle inhabituelle, pour le meilleur, l’encore mieux que le meilleur et l’un peu moins bien. Mais assurément, hors norme.
Hors norme, la stature du deux fois palmé Francis Ford Coppola, géant du cinéma américain depuis Apocalypse Now et la saga Le Parrain, en même temps que Don Quichotte ayant défié les Goliath des studios hollywoodiens et ayant mordu la poussière plus d’une fois.
Hors norme, la gestation du projet Megalopolis, plus de trente ans –l’auteur de ces lignes se souvient du cinéaste lui racontant avec exaltation le film qu’il allait bientôt tourner en comparant l’Empire romain et les États-Unis… à la fin des années 1980. Et hors norme, le film lui-même, jouant délibérément sur son caractère monumental, avec orgueil et une dose d’autodérision pas toujours repérable.
La forte présence de l’architecture néoclassique dans les métropoles états-uniennes, à commencer par New York rebaptisée «New Rome», aide à soutenir visuellement le parallèle affiché entre l’Empire romain et l’imperium America.
Et, avec le renfort de citations en latin gravées dans le marbre numérique et d’une voix off qui se veut évocatrice des prophètes et rhéteurs de l’Antiquité, le film file ce qui n’est même pas une métaphore, mais un parallèle explicite, servant à interroger l’état de l’Amérique et aussi un peu du reste du monde.
Le Banquier, le Maire, l’Architecte, la Journaliste, l’Héritier pervers et arriviste, tous dotés de grands noms de la Rome antique et chacun clairement donné comme un archétype appelant la majuscule, s’affrontent dans une urbs que le Chrysler Building de New York –où travaille le personnage central joué par Adam Driver, urbaniste et créateur– suffit d’emblée à identifier, mais qui renvoie à une abstraction urbaine autant qu’à une cité précise.

Ensemble et séparés, au sommet et isolés, l’architecte Cesar Catalina (Adam Driver) et Julia Cicero (Nathalie Emmanuel). | Caesar Films LLC / Le Pacte
Une fable mythologique aux échos actuels
Là, grâce aussi au beau personnage transfuge confié à Nathalie Emmanuel, se déploie un entrelacs de conflits, où le baroque le dispute à la chronique politique aux échos fort reconnaissables.
Car si la «fable» (c’est le sous-titre du film) questionne les grands horizons de l’humanité, elle s’inscrit aussi clairement dans une actualité, la dénonciation de la menace mortelle pour la démocratie et pour la vie de centaines de milliers de gens, que représente le possible retour de Donald Trump au pouvoir.
Retrouvant le sens du grand spectacle qui a contribué à sa gloire, Francis Ford Coppola met en scène des séquences d’anthologie, scènes de foules, scènes de délire spectaculaire marchand, scènes d’hallucination, scènes intimes dans des décors grandioses.
Cette manière de composer sa fresque comporte incontestablement une forme d’emphase, où se combinent affichage surligné des partis pris formels et grandes interrogations sur l’humanité comme elle ne va pas.
Ce sera bien sûr ce qu’on lui reprochera, en des temps où il faut être cool sur tout et où des influenceuses stipendiées par des marques de cosmétiques ont plus d’audience que quiconque prétend réfléchir à l’état du monde.
On peut refuser la grandiloquence de la forme. On peut aussi, et c’est sans doute plus intéressant, se demander ce qui s’est perdu dans le rejet quasi unanime de toute pensée abstraite, de toute recherche de généralisation, qui passe désormais inévitablement pour vieillerie arrogante et creuse. (…)











