Les premiers jours de la 77e édition de la manifestation tessinoise Le léopard, totem du Festival, sur l’écran géant de la Piazza Grande.
ont à la fois souligné le rôle singulier mais exemplaire du «plus grand des petits festivals» et permis de belles rencontres de cinéma.
«World Capital of Auteur Cinema», dit le slogan qui accompagne désormais l’intitulé du Festival de Locarno, et s’affiche un peu partout –sur son site internet aussi bien que sur la Piazza Grande et dans les rues de la station touristique tessinoise– lors de sa 77e édition, qui se tient du 7 au 17 août sur les rives du lac Majeur.
La formule, dont on entend bien la vocation auto-promotionnelle –rien de honteux à cela–, mérite d’être décortiquée, tant elle suggère de questions, malgré son ton péremptoire.
«Capitale»? Au singulier? Un rien discourtois pour les dizaines d’autres festivals, à commencer par Cannes, Venise, Berlin, mais aussi Telluride, San Sebastian, Karlovy Vary, Busan, São Paulo et tant d’autres également dédiés au «cinéma d’auteur» –et alors même que Locarno, comme tous les autres mais plus que la plupart des autres, est mis à l’épreuve par l’idée même de «cinéma d’auteur», notion d’ailleurs assez floue, et qui gagne à le rester.
S’il faut se féliciter que la manifestation, fréquemment désignée comme, au choix, «le plus grand des petits festivals» ou «le plus petit des grands festivals», revendique son amour du cinéma d’auteur en ces temps de démagogie galopante, elle est, dans les faits, loin de se focaliser sur les seuls films relevant de cette appellation.
Dilemmes de programmation
Locarno, ce n’est pas nouveau, est confronté à des dilemmes de programmation liés entre autre à ce joyau qu’est la Piazza Grande avec son écran géant, ses projections et sa capacité d’accueil exceptionnelles.
Les autorités locales et les sponsors tiennent à ce que ce soit plein, et le choix des films à montrer dans de telles conditions relève d’une stratégie qui a varié au cours des décennies, mais est désormais explicitement du côté d’un mainstream sans aucune ambition d’écriture cinématographique.
D’autant que, «mondiale», la programmation l’est sans doute, mais plus ou moins. Pèsent notamment des obligations de visibilité du cinéma suisse, qui leur vaut une part… comment dire… pas tout à fait proportionnée avec celle de cette cinématographie dans l’offre internationale. Et notamment sur la fameuse Piazza, mais aussi en compétition officielle.
Locarno a véritablement été, depuis les années 1990, un lieu de découvertes de cinématographies du monde –c’est-à-dire en faisant enfin juste place aux films non occidentaux.
Ceux-ci n’ont pas disparu: une section réservée aux cinémas minoritaires (cette année d’Amérique latine), Open Doors, aide à maintenir une apparence d’équilibre, et deux grands artistes du cinéma d’Extrême-Orient, le Coréen Hong Sang-soo et le Chinois Wang Bing, sont bien présents en compétition.
Shah Rukh Khan recevant un «Pardo d’onore». | Locarno Film Festival
Dans l’ensemble de la manifestation, l’Europe et l’Amérique du Nord n’en occupent pas moins une place prépondérante. Un déséquilibre que même la présence de l’immense star Shah Rukh Khan, ovationné par les 8.000 spectateurs de la Piazza, n’a pas été en mesure de compenser.
Les attentes envers la nouvelle présidente
Tout cela résulte de pesanteurs bien réelles, avec lesquelles doit travailler l’équipe de programmation menée par le critique italien Giona Nazzaro. La question qui se pose dès lors concerne la capacité de la nouvelle présidente de la manifestation, la collectionneuse d’art contemporain Maja Hoffmann, connue surtout pour avoir créé et pour piloter la Fondation LUMA à Arles, de faire prévaloir les ambitions affichées par le slogan du festival.
Celui-ci a en effet besoin d’une personnalité puissante et attachée aux enjeux artistiques pour peser sur des rapports de force que l’époque incline vers une rupture toujours plus profonde entre art et industrie de loisir.
Il serait même possible de dire que c’est tout le cinéma qui en a besoin, et que Locarno, plutôt que d’afficher un soutien de principe au seul «cinéma d’auteur», ce que ses sélections ne confirment pas, occupe une place stratégique majeure pour travailler l’équation à reprendre éternellement entre exigence artistique et impératifs commerciaux.
Au cours des premiers jours de cette 77e édition, et à côté d’une vaste rétrospective consacrée à des films à redécouvrir du Studio Columbia des années 1930, 1940 et 1950, les diverses sélections ont incontestablement apporté des éléments de réponse, en affichant un éclectisme pas toujours lisible, mais où surgissaient de véritables découvertes.
Sans les ignorer complètement, Locarno n’a pas privilégié les grands noms de l’art du cinéma contemporain. C’est donc souvent du côté de réalisateurs peu ou pas repérés qu’ont pu se faire les plus belles rencontres. Avec comme défi de leur donner toute la visibilité qu’elles méritent, tâche très ardue dans un environnement très hétérogène.
Du Portugal à la Corée, merveilles et découvertes
Exemplaire en tout cas reste la plus belle révélation durant les premiers jours de la manifestation, une merveille étrange et proche, envoutante et évidente intitulée Fogo de vento.
Pour son premier long-métrage, la jeune réalisatrice portugaise Marta Mateus invente un conte mythologique ancré dans la campagne de l’Alentejo, où divinités antiques réincarnées en taureau et en chênes protecteurs accueillent ouvriers agricoles et mémoires de la lutte populaire contre la dictature.

Fogo de vento de Marta Mateus. | Clarão Companhia
Le plus impressionnant peut-être y est la manière dont chaque plan, en apparence très simple, est constamment habité de souvenirs, d’imaginaires, de vibrations et d’harmoniques.
Parmi les autres titres, on mettra en avant quelques belles rencontres, à commencer par celle des jeunes bergers tunisiens filmés par Lotfi Achour et qui, dans Les Enfants rouges, croisent pour leur malheur le chemin de guérilleros jihadistes.
Dans le désert, dans la montagne, dans le village se déploie un intense tissage de relations amicales, familiales, sociales, qui donne aux corps, aux pierres, aux lumières, aux mouvements, une force vive, habitée de peurs et de désirs, de fureur et de tendresse.
Rien à voir, en apparence, avec la manière dont Virgil Vernier filme quelques jours dans la vie d’Afine, qui tapine du côté de Monte-Carlo. Rien sinon, dans Cent mille milliards, une même confiance dans les puissances du cinéma. On sait depuis le beau Mercuriales le singulier talent de cet auteur pour transformer des portraits de lieux en méditations rêveuses et incisives sur l’état du monde. (…)


Un fragment de la liste des cinéastes du monde entier ayant joué les curateurs, c’est-à-dire proposé une liste de cinquante titres que La Cinetek s’emploie à rendre accessibles.

























